À défaut de pouvoir commercer avec l’Occident, l’Iran se rapproche de la Chine. Lors de sa tournée au Moyen-Orient, le ministre chinois des Affaires étrangères, s’est entretenu le 27 mars avec son homologue iranien. Au cours de cet échange, les deux pays ont conclu un accord historique de coopération, qui doit courir sur 25 ans. Ce partenariat comporte aussi bien un volet militaire que commercial.
Le chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif s’est félicité de la signature de ce traité sur son compte Twitter: «Un excellent échange sur l’expansion de la coopération mondiale, régionale et bilatérale dans le cadre de notre partenariat stratégique global.» Dans un communiqué officiel commun, Pékin et Téhéran ont rappelé l’importance «de coopérer et avoir des investissements réciproques dans différents domaines, notamment les transports, les ports, l’énergie, l’industrie et les services.» Selon Thierry Coville, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Iran, la signature de ce pacte était prévisible.
«Cela fait plusieurs mois que l’Iran et la Chine négocient. En juillet dernier déjà, ils avaient annoncé avoir trouvé un accord. Aujourd’hui, ce n’est ni plus ni moins que la confirmation des excellentes relations sino-iraniennes», souligne-t-il au micro de Sputnik.
En effet, le deal est sur la table depuis la visite du Président chinois Xi Jinping à Téhéran en 2016. En juillet 2020, les deux pays avaient annoncé une coopération sur 25 ans, mais «on n’était pas au bout des procédures. Aujourd’hui, on attend que le document soit ratifié par le parlement iranien, chose qui ne devrait pas tarder», estime le chercheur de l’IRIS.
Pékin va investir 400 milliards de dollars
Si ce partenariat est stratégique pour la Chine en vue de la réalisation de son projet des nouvelles routes de la soie, il semble être aussi important pour la République islamique d’Iran. Soumise au durcissement des sanctions économiques depuis 2018, l’économie iranienne est exsangue. Par l’intermédiaire de l’extraterritorialité du droit américain, l’Administration de Donald Trump a su empêcher les autres pays de commercer avec l’Iran. Face à ce quasi-embargo, l’Iran perçoit cet accord avec la Chine comme «une première étape d’une avancée économique majeure», estime Thierry Coville.
«La Chine est déjà un partenaire économique et militaire important de l’Iran, elle est même devenue le premier partenaire commercial de l’Iran. Pékin va investir dans les infrastructures, dans l’énergie, dans le transport, mais également dans le militaire.»
L’arrangement stipule que Pékin va investir 400 milliards de dollars en Iran sur 25 ans. À ce titre, Thierry Coville rappelle qu’il y a une «corrélation entre la baisse des exportations européennes et la hausse des exportations chinoises en direction de l’Iran depuis les années 2000.» Ceci s’explique entre autres par l’effet dissuasif des sanctions américaines à l’égard des entreprises européennes qui voudraient commercer avec l’Iran.
Téhéran desserre l’étau occidental
Au cours de l’année dernière, les exportations iraniennes vers la Chine étaient de 8,9 milliards de dollars, tandis que les importations en provenance de la Chine atteignaient 9,7 milliards de dollars. «nous remercions la Chine pour ses positions et actions appréciables en ces temps de sanctions cruelles contre l’Iran», déclarait le chef de la diplomatie iranienne. En effet, leurs échanges bilatéraux ont diminué depuis 2018 et ont été impactés par les sanctions américaines:
«L’Iran n’arrive pas à vendre son pétrole. Et d’ailleurs, la Chine elle-même a dû réduire ses achats de pétrole à l’Iran sous l’impact des sanctions. Or, depuis l’arrivée de Joe Biden, la Chine importe plus de gaz et de pétrole iranien», explique le spécialiste des questions iraniennes.
Ce partenariat sino-iranien permet de fait d’une pierre deux coups pour Téhéran et pour Pékin. En le paraphant, les deux pays se servent l’un de l’autre. La Chine pour asseoir son projet commercial et l’Iran pour tenter de sortir de l’asphyxie des sanctions occidentales. De plus, ce rapprochement sert également «des intérêts géopolitiques et conjoncturels bien précis», ajoute le chercheur de l’IRIS.
Pékin et Téhéran face au «gendarme du monde
De fait, cet accord sino-iranien participe également à la mise en place d’un «discours anti-américain», estime Thierry Coville. Pékin et Téhéran partagent la même opinion à l’égard de Washington. Du côté iranien, «c’est un message clair d’indépendance», note notre interlocuteur.
«Les Iraniens sont tout simplement en train de dire aux Européens et aux Américains: “nous ne sommes pas dépendants de vous”. C’est un pied de nez à Occident. L’Iran veut diversifier ses partenaires commerciaux et ne pas être dans une dépendance occidentale.»
Pourtant, les Iraniens avaient attendu avant de signer cet accord, rappelle le chercheur de l’IRIS: «il y avait une préférence des industriels iraniens à traiter avec les Européens, mais les progrès de la Chine sont immenses et aujourd’hui elle prend la place prévue pour des Occidentaux.»
Thierry Kellner, auteur de nombreuses études portant sur la politique étrangère chinoise et la politique étrangère de l’Iran, rappelle qu’historiquement, les Iraniens sont davantage tournés vers l’Europe et que «la Chine est plus un choix par défaut».
Néanmoins, Thierry Coville nuance l’impact de ce partenariat sur les futures négociations sur le nucléaire iranien.
«Il y a un effet d’annonce avec ce partenariat. Tous les diplomates occidentaux avaient connaissance de cet accord. L’Iran ne va pas se passer des Chinois sous prétexte qu’il veut une ouverture avec l’Occident. L’un n’empêche pas l’autre, les Iraniens sont dans une logique d’ouverture à l’Est comme à l’Ouest.»
En effet, conclut-il, «indépendamment de ce rapprochement avec la Chine, les Iraniens ne vont pas attendre que les Occidentaux changent d’avis pour développer leur économie.»