«Le conseil que je peux donner est strict: ne jamais confier son enfant aux Témoins de Jéhovah*. Même pas pour faire une balade à vélo.»
Le témoignage de Fatiha Wycisk est amer et parfois glaçant. Remuer tout ça l’épuise jusqu’aux larmes. Vie modeste, rupture avec sa famille, perte d’un lien émotionnel avec ses filles, cancer… éprouvée mais résolue à lutter, cette ancienne adepte des Témoins de Jéhovah* s’épanche devant la caméra de Sputnik.
Fatiha se souvient ainsi de cette rencontre cruciale dans sa jeunesse: «Il y a une offre et une demande à un moment donné. J’ai été contactée à l’école, par une camarade qui faisait du prosélytisme.»
Porte-à-porte, rencontres avec des collègues, démarchage à l’école… L’approche est variable, mais, dans le cas de Fatiha, la cible est bien choisie: une jeune fille «idéaliste de base» et «malheureuse». Elle aurait pu solliciter une assistante sociale, aller dans un foyer pour mineurs ou se marier pour fuir, mais elle a rencontré «une grande gentillesse» chez les Témoins*.
«Vous y trouvez beaucoup d’amour. Si, à côté, vous avez des soucis avec votre famille ou avec la société, vous entrez tout doucement dans ce cocon. Pour vous dire enfin: je ne peux plus m’en passer. Ils se substituent à votre entourage proche», relate Fatiha Wycisk.
On était en 1975, on attendait la fin de six mille ans d’histoire de l’humanité: «Il fallait vraiment sauver sa peau avant la fin du monde.» À coups de prospectus, de livres, de «beaucoup d’intérêt» pour sa personne, ils font oublier à la jeune fille le racisme qu’elle a subi dans son école. Ainsi, elle, qui «voulait entrer dans la Marine nationale», prend un autre chemin, une orientation qui la mène «dans le milieu ouvert à l’amour, la fraternité, la solidarité, l’entraide» des Témoins*. Un milieu qui lui réservera bien des surprises et autant de regrets!
Une rupture traumatisante avec la famille
«Le discours des Témoins*, qui retient bien les jeunes à la maison à force de dire qu’on va être punis pour tout ce qu’on fait, a plu à ma mère. Ensuite, ils ont essayé d’attirer mes parents dans le mouvement. Mais mes parents ont dit gentiment: “Jamais on ne quittera notre religion, l’islam”», raconte Fatiha.
Quand la jeune femme part «sans dire où» à ses parents, ça se passe «très mal». Les Témoins* l’ont «protégée, emmenée en Région parisienne, hébergée». Ce qui n’a pas empêché l’éveil de la lucidité «face au racisme et au clanisme».
«Ils me disaient que, étant d’origine algérienne, je ne pouvais pas me marier avec un adepte français. J’ai demandé pourquoi. On prêche du matin au soir qu’on est tous frères. Ça m’a choquée», se souvient Fatiha.
«Petit à petit», Fatiha s’éloigne du mouvement. Celui-ci tente de la ramener dans le droit chemin à coups «de remarques en public, de blâmes pour humilier». Jusqu’au jour où elle est excommuniée. Son monde s’écroule de nouveau: «Là, tous les gens que j’avais connus […] quand ils me voyaient dans la rue, c’était comme si j’avais tué quelqu’un. Ils avaient l’ordre de ne plus me parler.»
Sa fille cadette tombe à son tour
Et c’est le début d’un long conflit familial. Fatiha «regrette profondément d’avoir laissé sa fille entre les mains des Témoins*». Fusionnelle, elle pensait pouvoir maîtriser la situation, pour «déconstruire un peu». Le constat est amer: «À un moment donné, ça vous échappe.»
Pour venir en aide à ceux qui sont confrontés aux mêmes problèmes qu’elle, Fatiha crée l’«Association des ex-Témoins de Jéhovah de France et des victimes». Elle imprime des fiches décrivant les divers interdits de l’organisation religieuse: la transfusion sanguine, ostracisme vis-à-vis des renégats… Aidée d’un avocat, elle cherche la meilleure façon de répondre aux interrogations et difficultés des victimes. Elle est aussi «dévouée à la cause animale» dans le cadre de son association «Les Bonnets blancs contre la souffrance animale».
Mais, à travers ces occupations, la douleur perce toujours: l’absence de tout contact avec sa fille.
«Elle m’autorisait quelques heures en dehors de la maison, parce que j’ai médiatisé notre situation. Normalement, on n’a pas le droit de me fréquenter. Il y a une punition, un concept radical. Quand on est excommunié, on n’a pas le droit de fréquenter sa famille “charnelle”», explique Fatiha.
Aujourd’hui, Fatiha a un cancer. Et sa fille le sait.
«J’ai appelé [l’association des Témoins de Jéhovah*] et demandé l’adresse de ma fille. J’ai été très mal reçue. C’est mon avocat qui a fait une démarche pour me mettre en contact avec ma fille», informe l’adepte excommuniée.
Un «mail plein d’amour» qu’elle a reçu de sa fille était aussi plein de reproches: «On ne va pas faire comme si de rien n’était.» En guise d’explication: «Tu as médiatisé [notre affaire], tu nous as trahis.»
«J’aurai voulu qu’on reprenne contact, qu’elle me téléphone, qu’on se parle. Mais avec compassion. C’est ce que fait ma fille tous les jours [dans le cadre de son activité religieuse]: faire du porte-à-porte et parler de l’amour aux autres. Mais à sa propre mère, atteinte d’un cancer, on pose des conditions?» résume Fatiha d’une voix tremblante.
Les difficultés ne l’arrêtent pas. Au contraire, Fatiha veut que «les gens fassent attention à leurs enfants». Et surtout que «l’État français prenne en compte la souffrance des milliers des personnes: des gens en dépression qui consultent des psychiatres pendant des années, des suicidaires, des gens qui meurent en refusant une transfusion».
«Le gouvernement doit faire quelque chose. La Miviludes [Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, ndlr] doit taper très fort. Je sais ce qu’est un cancer. Ça vous ronge de l’intérieur. Les Témoins de Jéhovah* sont comme un cancer. Et aux grand maux les grandes remèdes», conclut Fatiha Wycisk.
*Organisation extrémiste interdite en Russie.