La France vers un confinement «total», «dur» et «long»? «On risque d’atteindre un point de non-retour» économique

L’épidémie est-elle «hors de contrôle»? L’économiste Jean-Jacques Rosa alerte sur les conséquences qu’aurait un reconfinement total du pays alors que de plus en plus de professionnels de santé l’appellent de leurs vœux. Pour le moment, Emmanuel Macron ne cède pas et défend sa stratégie du «freiner sans enfermer».
Sputnik

«Un reconfinement total mènerait à l’interdiction de l’activité de certains types de commerces. Vous détruisez des secteurs. On peut parler de discrimination économique sectorielle.» Au micro de Sputnik, l’économiste Jean-Jacques Rosa, professeur émérite à Sciences Po, prévient qu’une nouvelle mise sous cloche de la France mettrait fortement à mal une économie déjà fragilisée.

​C’est pourtant ce que demandent un nombre croissant de professionnels de santé, affolés par les chiffres de l’épidémie et l’état des services de réanimation dans les hôpitaux. «Au point où on en est, je ne vois pas comment on ne peut pas aller vers un confinement total», lançait ce 26 mars sur Franceinfo Dominique Costagliol, épidémiologiste et directrice de recherche à l’Inserm.

«Nous avons eu raison de ne pas reconfiner»

Selon l’expert, les récentes mesures prises par le gouvernement pour lutter contre le Covid-19 ne sont pas de nature à enrayer la montée de l’épidémie. «Je ne vois pas comment on va réussir à s’en sortir dans les écoles où la situation s’aggrave», a-t-elle ajouté avant d’assurer que dans certaines régions, les hôpitaux sont «dans des situations catastrophiques».

Des propos qui rappellent ceux de William Dab, médecin et ancien directeur général de la Santé (DGS), la veille sur BFMTV. «Aujourd’hui, l’épidémie est hors de contrôle», a-t-il averti en ne manquant pas de critiquer le «freiner sans enfermer» du gouvernement. 

​Quant à Gilles Pialoux, chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon, il a récemment tenu un discours très alarmiste, lui aussi sur BFMTV: «L’épidémie est évidemment hors de contrôle parce qu’on a un taux d’incidence qui est au-dessus de 500 cas pour 100.000 [...]. Aucune des mesures actuelles ne permettra de freiner cette évolution de manière radicale», a-t-il alerté.

​Jean-Jacques Rosa prévient de son côté que la décision d’un reconfinement sévère porterait un coup supplémentaire à des secteurs déjà fortement touchés par la crise, comme l’hôtellerie-restauration ou la culture. Un sérieux problème qu’Emmanuel Macron doit avoir en tête. Alors qu’il s’exprimait le 26 mars en visioconférence à l’issue d’un Conseil européen, il a à nouveau défendu la stratégie du «freiner sans enfermer»: «Nous avons eu raison de ne pas reconfiner la France parce qu’il n’y a pas eu l’explosion qui était prévue par tous les modèles». «Je n’ai aucun mea culpa à faire, aucun remords, aucun constat d’échec», a martelé le locataire de l’Élysée.

À un moment, «les pertes ne sont plus rattrapables»

Reste qu’Emmanuel Macron ne ferme aucune porte: «Ces semaines qui viennent seront difficiles, nous prendrons toutes les mesures utiles en temps et en heure et il n’y a à mes yeux aucun tabou.» Pour William Dab, ce qui est fait actuellement est clairement insuffisant: «Si l’objectif est un objectif de santé publique, il n’y a guère d’autre solution qu’un confinement, et comme on a beaucoup attendu pour prendre cette décision, c’est un confinement qui va être dur et qui va sûrement être long.»

Comme le souligne Jean-Jacques Rosa, il s’agirait d’un vrai scénario cauchemar au niveau économique:

«Plus cela dure, plus les probabilités de faillites sont fortes. On risque d’atteindre un point de non-retour. Au bout d’un moment, les pertes ne sont plus rattrapables.»

Pour le moment, le «quoi qu’il en coûte» d’Emmanuel Macron a tenu hors de l’eau de très nombreuses entreprises. Mais le chômage partiel, les reports de charges et autres aides sectorielles en tout genre ont un coût. Et la facture est salée. «Entre les pertes de recettes et les dépenses que nous avons engagées pour faire face à la crise, que ce soit pour l’État en matière de dépenses, pour la Sécurité sociale en termes de pertes de recettes liées à la baisse de l’activité, le coût [...] peut être estimé autour de 160 à 170 milliards d’euros», expliquait récemment devant le Sénat le ministre délégué aux Comptes publics, Olivier Dussopt.

​Un nouveau confinement strict ne ferait qu’alourdir la facture. À moins de laisser de nombreuses entreprises faire faillite. C’est tout le cœur du problème, selon Jean-Jacques Rosa:

«Connaître l’incidence qu’aurait la disparition d’un certain nombre de sociétés sur la vitesse de récupération économique est compliqué. Si peu d’entreprises mettent la clef sous la porte, le rattrapage économique postconfinement pourrait être rapide. Mais je ne pense pas que l’on puisse éviter les faillites.»

Au rang des perspectives moins sombres, l’économiste libéral évoque l’accumulation de consommation et de demande non satisfaite qui se manifesterait à la sortie du confinement.

«On pourrait, dans ce cas, être optimiste. Encore une fois, tout dépendra du nombre réel de destructions au niveau du tissu économique entraîné par le confinement total», analyse-t-il.

Éviter de mettre davantage la main à la poche soulagerait un État qui doit faire face à une montée de l’endettement que beaucoup d’observateurs jugent préoccupante. Ce 26 mars, l’Insee a publié ses dernières données concernant la dette publique. Elle a atteint 115,7% du PIB en 2020. Quant au déficit, il s’est creusé à 9,2%. Il s’agit du niveau «le plus élevé depuis 1949».

«Un reconfinement total compromettrait la reprise et avec elle, l’état des finances publiques», prévient Jean-Jacques Rosa.

Plus largement et en dehors de considérations purement financières, l’économiste doute que mettre en place un confinement total soit la solution idoine. Il cite l’étude controversée du professeur John Ionannidis qui enseigne à la prestigieuse université californienne de Stanford. Ce dernier affirme avoir démontré le peu d’efficacité des confinements et autres fermetures de commerces sur la circulation du virus.

Le travail de John Ionannidis a été la cible de nombreuses critiques qui l’accusent d’être biaisé. De son côté, Jean-Jacques Rosa n’en démord pas: reconfiner totalement le pays n’est pas une bonne idée. D’autant que selon lui, «les chiffres actuels sur la gravité de cette troisième vague sont contestables».

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