«Peine de vie» d’un côté, suicide assisté de l’autre: où en est la controverse autour de l’euthanasie en France

Bien que le suicide médicalement assisté puisse permettre de satisfaire aux besoins «gravissimes» de certains patients, ce n’est sûrement pas un remède pour tous. Des psychologues et une médecin de soins palliatifs se sont penchés, dans un entretien à Sputnik, sur ce sujet qui vient de refaire surface en France.
Sputnik

La question du suicide assisté n’accepte pas de réponse universelle, bien que la demande existe, même parmi les personnalités politiques. En France, le sujet est toujours confronté à une attitude plutôt frileuse. Si l’Espagne est devenue le quatrième pays européen à légaliser l'euthanasie et le suicide assisté, derrière la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, le Sénat français s’est opposé le 11 mars au «droit à mourir dans la dignité», à savoir une aide active pour mourir, prévue par une proposition de loi PS.

Contacté par Sputnik, le psychologue clinicien et responsable du service d'oncologie médicale et soins palliatifs au CHU de la Timone à Marseille Éric Dudoit explique que «la demande de l’euthanasie, du moins son acceptation, dépend largement de la culture contextuelle de la personne».

«Peine de vie»

Le ministre de la Santé Olivier Véran a annoncé un «nouveau plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie», ce peu après que l’ex-secrétaire d’État Paulette Guinchard est allée en Suisse pour recourir au suicide assisté. Elle était atteinte d’une maladie neurodégénérative.

Selon un autre psychologue de Marseille, Lucien Cavelier, la vie ne doit pas «devenir une peine».

«La société ne peut infliger ce que l'on pourrait appeler "une peine de vie" pour certaines personnes qui souhaiteraient ne plus la subir, pour diverses raisons. Pour certaines personnes dont l’existence est devenue insupportable, un refus de suicide avec assistance équivaut à une peine de vie, une punition,un calvaire.»

Selon un sondage d’Ipsos retentissant et largement cité, la part des Français qui sont favorables à l’euthanasie s’établissait à 96% en 2019. Or, pour aller plus loin, seul un quart des citoyens (24%) mentionnent le fait de pouvoir obtenir l’euthanasie comme priorité, révèle une récente enquête de l’Ifop.

La décision d’en finir n’apparaît que face à quelque chose non maîtrisable, et priver la personne de cet «ultime contrôle sur son existence» est presque «violent», estime M.Cavelier. Cependant, «la décision du suicide assisté doit se prendre dans une situation où la personne est en pleine possession de ses moyens psychiques», met-il en valeur.

«Laisser le choix aux personnes de décider de leur fin de vie, en situation exceptionnelle, n'est que la continuité d’une société qui se veut humaniste.»

Populations précaires

Cet avis n’est pas partagé par Isabelle Marin, médecin, responsable de l'équipe mobile de soins palliatifs de l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis.

«La mort est violente mais on ne peut gommer cette violence en la donnant. Si des malades perdent espoir mais surtout le goût de vivre et qu’ils se suicident, ne devons-nous pas réfléchir à ce que nous pourrions faire pour leur redonner ce goût plutôt que de leur proposer d’en finir?», s’interroge-t-elle dans un entretien à Sputnik.

Travaillant depuis 30 ans avec la population précaire et multiculturelle de la Seine-Saint-Denis, la docteure Marin explique que «les malades fragiles, quand ils sont confrontés à la volonté incessante de l’hôpital de les faire sortir alors qu’ils n’ont pas de domicile ou un domicile impossible pour un malade, peuvent demander qu’on en finisse comme seule solution. Mais ne devrions-nous pas leur donner une place dans ce monde plutôt qu’un billet pour l’autre?».

Question des réanimations

Covid: faut-il inciter les personnes âgées à écrire des «directives anticipées» pour renoncer aux soins intensifs?
Mme Marin craint qu’une polémique de la même ampleur que celle autour du drame familial des Lambert puisse encore avoir lieu. Elle déplore le fait que l’opinion publique n’y a pas prêté d’intérêt au commencement de l’affaire, plusieurs questions n’ont pas été posées au bon moment: «pourquoi les réanimations créent-elles de tels états? L’acharnement thérapeutique ne commence-t-il pas dès la "fabrication" des états végétatifs chroniques?», lance-t-elle, ajoutant qu’actuellement on en «fabrique» beaucoup moins.

Ici figure la question des directives anticipées des médecins: «habituellement, on réfléchit avant de faire et non de ne pas faire», explique-t-elle.

Dans le contexte sanitaire d’aujourd’hui, le sujet de l’euthanasie sort sous un jour différent.

«Nous avons vu comment la société civile mise en face d’une menace de mort a réagi en s’inquiétant que les personnes âgées ne soient pas réanimées, en s’offusquant d’un tri possible, en demandant la réanimation pour tous. […] La peur de la mort d’un côté fait demander la réanimation, de l’autre l’euthanasie», poursuit la docteure Marin, proposant de chercher la solution dans le fait de «repenser les deux, la réanimation pour tous et l’euthanasie».

Dernier point à ne pas négliger: le soutien à la famille de la personne atteinte d’une maladie incurable. L’accompagnement des personnes en fin de vie «ne peut se faire qu’avec un seul mot: l’amour», résume Éric Dudoit, qui travaille depuis 25 ans en soins palliatifs et en oncologie médicale.

Les proches pour leur part doivent être traités «avec empathie»: avec beaucoup d’entente, écoute, paroles pour rassurer, parfois difficiles mais indispensables dans ces moments particuliers, conclut-il.

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