«Ferme mais juste.» C’est le sens du «nouveau plan pour l’immigration» de la Grande-Bretagne. Présenté devant la Chambre des communes ce mercredi 24 mars par la ministre de l’Intérieur Priti Patel, cette future proposition de loi vise à durcir le système d’asile britannique.
Un mécanisme jusqu’ici «brisé» devant l’afflux migratoire, selon les mots de la ministre, destiné à être remplacé en renforçant le traitement des entrées illégales de migrants dans le pays.
«Aujourd’hui, nous avançons dans notre engagement de lutter contre les entrées illégales, de punir les passeurs et de protéger ceux qui ont véritablement besoin d’un refuge», ajoutait le Premier ministre Boris Johnson sur son compte Twitter.
Un «take back control» qui était au cœur des réclamations des partisans du Brexit. Nigel Farage, leader du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, militant de la première heure et fortement engagé dans ce combat, avait dénoncé plusieurs fois une «invasion migratoire». Selon les chiffres du ministre de l’Intérieur britannique, entre mars 2019 et mars 2020, ce sont 35.099 personnes qui ont déposé une demande d’asile en Grande-Bretagne, soit 11% de plus que l’année précédente.
Une telle progression annuelle est «en effet une forte augmentation qui ne peut que préoccuper le gouvernement britannique», accorde Patrick Stefanini ancien secrétaire général du ministère de l’Immigration de Nicolas Sarkozy. Mais l’auteur de l’ouvrage Immigration – Ces réalités qu’on nous cache (éd. Robert Laffont) tempère les déclarations de la ministre.
«De là à dire que le système d’asile du Royaume-Uni est «brisé», il y a un pas que je ne franchirai pas. Je rappelle qu’en France, le nombre de demandeurs d’asile a été multiplié par plus de trois depuis 2000», précise-t-il à notre micro.
Avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, l’accord négocié in extremis entre les deux anciens partenaires à la fin de l’année 2020 avait complètement évacué la question migratoire. Elle est désormais sur la table et c’est la France qui pourrait en faire les frais, selon Patrick Stefanini.
Une nouvelle législation qui pourrait accroître la pression migratoire à la frontière anglaise située en France. Depuis la signature des accords du Touquet en 2003, le Royaume-Uni a obtenu de la France que les contrôles des étrangers désireux de rejoindre son territoire se fassent non pas à leur arrivée au Royaume Uni, mais en France, c’est-à-dire au départ des intéressés des gares et des ports français, à l’exemple de Calais.
La France, garde-frontière du Royaume-Uni?
Les images de migrants stationnant dans la jungle de Calais en attente d’embarquer illégalement pour la Grande-Bretagne ont fait le tour du monde. Son démantèlement en 2016 n’a rien changé à l’affaire. Les migrants continuent de se presser à la frontière dans l’espoir de traverser la Manche et d’obtenir le statut de réfugié. Avec comme seules options, l’embarquement sur des radeaux de fortune, les «small boats» (des bateaux gonflables) ou bien en montant illégalement à bord de camions.
Pour Patrick Stefanini, les étrangers qui réussissent à rejoindre illégalement la Grande-Bretagne n’ont pas d’autres ressources à leur arrivée que de se déclarer demandeurs d’asile s’ils veulent éviter un refoulement immédiat.
«Il est donc logique que le gouvernement britannique cherche une nouvelle parade en demandant que les demandes d’asile se fassent à la frontière, c’est-à-dire, dans l’esprit des Britanniques, en France ou en Belgique», ajoute-t-il à notre micro.
Notre interlocuteur fait une distinction entre le souhait légitime du gouvernement «que les demandes d’asile soient déposées ailleurs qu’au Royaume-Uni» et le refus «d’examiner une demande d’asile déposée au Royaume-Uni par un étranger entré illégalement». Un tel refus pourrait constituer une violation de la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés. Une légalité qui a également été soulevée par l’opposition britannique. Une partie d’entre elle a aussi fustigé le nouveau système d’asile du gouvernement qui ne fera «pratiquement rien pour empêcher les gens de faire des voyages dangereux» pour traverser la frontière. Qu’en sera-t-il à l’avenir du renvoi dans leur pays d’origine des déboutés par le Royaume-Uni? Pour Patrick Stefanini, ce n’est pas à la France ou à la Belgique de reprendre ces demandeurs d’asile.
«Nous sommes déjà le garde-frontière du Royaume-Uni, nous n’avons aucune vocation à en être l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides)! Il y a des limites à l’externalisation par le Royaume-Uni des procédures intéressant les étrangers désireux de se rendre dans ce pays», prévient-il.