La crise libanaise se régionalise: «L’Iran veut se servir du Liban pour négocier avec les USA et non avec la France»

Au Liban, les blocages politiques s’empilent, menaçant plus que jamais la stabilité du pays. Le pays du Cèdre devient le centre des tensions régionales et internationales. Ainsi le Hezbollah bloquerait-il les réformes en vue des futures négociations sur le nucléaire iranien, estime Mounir Rabih journaliste et analyste politique libanais.
Sputnik

«Si vous avez compris quelque chose au Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué.» Vieille de quarante ans, cette citation de l’historien français Henry Laurens n’a pas pris une ride.

En effet, difficile de s’y retrouver dans les mésententes entre le Président Michel Aoun et le Premier ministre Saad Hariri. S’ils souhaitent la formation d’un nouveau gouvernement, ils n’arrivent pas à s’entendre sur sa composition. Face à la situation catastrophique et explosive du pays, le chef de l’État libanais avait enjoint à son Premier ministre de venir au palais présidentiel de Baabda, le lundi 22 mars. Or, une fois de plus, les deux hommes ont campé sur leurs positions. Les discussions achoppent toujours sur le nombre de ministres et leur répartition confessionnelle.

Devant les caméras, Saad Hariri a même reproché au Président de vouloir conserver une minorité parlementaire permettant de bloquer les réformes. De son côté, Michel Aoun s’est dit «surpris» de la réaction du Premier ministre, réfutant ses accusations. Résultat des courses, le pays reste sans gouvernement depuis plus de sept mois et les tensions sociales ne cessent d’augmenter.

«Cette crise est ancienne et aujourd’hui, les compromis politiques semblent impossibles. Elle ravive les tensions politiques traditionnelles et en crée de nouvelles,», résume Mounir Rabih, journaliste au quotidien libanais L’Orient Le Jour:

L’analyste politique libanais fait ici référence aux tensions dans le camp chiite. Généralement en phase politiquement, les deux principales forces chiites du pays, Amal et le Hezbollah, commencent à multiplier les désaccords. Et pour cause, les deux partis ont des positions diamétralement opposées sur Saad Hariri. Amal soutient le Premier ministre, tandis que le Hezbollah réitère son soutien au général Aoun. De plus, les deux formations chiites se déchirent sur «le cas de Gebran Bassil», le gendre du Président et son successeur potentiel, précise le journaliste.

Liban, le pays aux mille divisions

Ce blocage est à replacer dans les traditionnelles divisions politiques au Liban. Deux blocs parlementaires s’opposent, avec le Hezbollah pour principale pomme de discorde. Derrière le parti chiite se rassemble la coalition du 8 mars, composé du Hezbollah, d’Amal et du Courant patriotique libre, le parti chrétien de Michel Aoun.

En face, les partis du 14 mars, qui regroupent le parti sunnite du Courant du futur de Saad Hariri, le parti chrétien des Forces libanaises et le parti druze de Walid Joumblatt. Ils reprochent au puissant parti chiite de bloquer les réformes du pays, d’agir sur ordre de Téhéran et de «prendre en otage le Liban».

Face à ces critiques acerbes, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a récemment mis en garde «les fauteurs de troubles qui sont financés par certaines ambassades […] pour entraîner le pays vers la guerre civile.» Sans la nommer, il pointe du doigt l’ingérence américaine. Ce qui n’est pas de l’avis de Mounir Rabih, qui voit plutôt la main de l’Iran dans ce blocage politique, et l’arrêt des investissements extérieurs.

«De par sa géographie, le Liban a toujours été ouvert aux investissements en provenance de l’Occident ou du Golfe. Aujourd’hui, en raison de la place influente du Hezbollah dans l’échiquier politique du pays, les pays du Golfe n’investissent plus», déplore le journaliste libanais.

Pourtant, les pétromonarchies avaient participé à la reconstruction du pays en 2006. Cette aide n’était pas sans arrière-pensées géopolitiques, les puissances sunnites cherchant à contrer l’influence iranienne dans le pays. Une stratégie qui n’a pas été couronnée de succès, le Hezbollah conservant une place centrale au Liban: «le Liban devient même isolé de ses voisins arabes, qui investissent de moins en moins dans le pays», insiste Mounir Rabih.

Pour autant, «les pays du Golfe ne veulent pas laisser le Liban aux mains des Iraniens», précise l’analyste, avant d’ajouter qu’«il faut que le Liban reprenne contact avec les pays du Golfe.»

Comme en écho à cette préoccupation, les Saoudiens ont dernièrement multiplié les visites et les rencontres avec leurs homologues libanais. L’ambassadeur saoudien a rencontré l’influent patriarche maronite et s’est également entretenu avec le Président Aoun. Quant à lui, Saad Hariri s’est rendu dans le Golfe, a rencontré le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, et s’est même entretenu avec Emmanuel Macron à Paris en février dernier. Autant de rencontres diplomatiques qui montrent qu’une fois de plus, la crise du Liban s’internationalise et dépasse de loin le cadre purement local ou régional.

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«Le Liban ne peut vivre sans aide internationale», assène Mounir Rabih. Or cette même aide est conditionnée à la mise en place de réformes économiques et structurelles, au point mort depuis des mois. L’Europe et la France s’inquiètent des conséquences de l’immobilisme de Beyrouth. Or, pour l’analyste libanais, qui cache difficilement son désaccord avec le Hezbollah, «le parti chiite ne veut pas donner carte blanche à la France avec son initiative.»

«Aujourd’hui, cette crise s’inscrit dans une crise plus globale. L’Iran ravive les tensions dans tout le Moyen-Orient, du Yémen à l’Irak en passant par le Liban afin d’avoir une marge de manœuvre dans les négociations sur le futur accord sur le nucléaire iranien», juge le journaliste.

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Le Liban serait-il devenu un énième théâtre d’affrontement entre les États-Unis et l’Iran? «L’Iran veut se servir du Liban pour négocier avec les États-Unis et non avec la France», pense Mounir Rabih. Selon lui, bien que favorable à l’initiative française, le Hezbollah jouerait «la surenchère» pour que les États-Unis viennent négocier directement avec Téhéran.

Le Liban reste tributaire de la conjoncture régionale et internationale et des agissements des grandes puissances. Les dirigeants libanais semblent plus que jamais impuissants à peser sur le cours des évènements.

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