«Au cours de la Révolution française, on a cassé bien plus et pour autant elle est célébrée dans les manuels d’histoire», assume le Gilet jaune Fabrice Grimal au micro de Sputnik. Les scènes qu’il évoque ont eu lieu le 1er décembre 2018. Au cours de cet acte III de la longue série de manifestations, l’Arc de triomphe est saccagée. 400 personnes sont interpellées. Une dizaine seulement comparaît ce lundi 22 mars devant le tribunal de Paris.
Les profils des accusés détonnent avec les images filmées à l’époque. Aucune des personnes mises en examen n’a de casier judiciaire. Un procès des «petits poissons», comme le reconnaissent les juges d’instruction, pour qui «force est de constater que les instigateurs, voire les principaux auteurs des faits n’avaient pas pu être identifiés». Pour Fabrice Grimal, délégué général du Gouv, sorte de contre-gouvernement issu des Gilets jaunes, les dégradations venaient surtout des black blocs , plutôt que de «Gilets jaunes purs et durs». Aux premières loges ce jour-là, le militant appelle à relativiser les choses et à les replacer dans leur contexte.
La réponse des «gens qui ne sont rien»?
Cette journée du 1er décembre 2018 marquera une rupture dans le mouvement des Gilets jaunes. Aux véhicules incendiés et aux vitrines brisées s’ajoute dans l’après-midi l’affrontement entre les forces de police et les manifestants regroupés sur la place de l’Étoile. La manifestation prend bientôt des allures d’insurrection. Une partie des militants pénètre dans l’Arc de triomphe.
Les lieux sont saccagés, la boutique de souvenirs pillée et une statue de Marianne endommagée. Total: 1.028.000 euros de dégâts et une fermeture temporaire du monument pour restauration. Une violence qui répondait à une «violence sociale», plaide Fabrice Grimal.
«Il faut rappeler les déclarations du gouvernement qui s’est livré à une surenchère de maladresses et de mépris à l’adresse de ces "invisibles": illettrés, beaufs, fumeurs de clopes qui roulent au diesel, ceux qui ne sont rien… Comment ensuite s’étonner de ces réactions?» tranche à notre micro l’auteur de «Vers la révolution» (éd. Jean-Cyrille Godefroy).
Pour ce militant, qui se trouvait sur place «au moment où ils ont enfoncé» la porte menant à l’intérieur du monument historique, il y avait surtout «des cagoules, mais pas de gilets». Entendre par là, des militants des black blocs, la mouvance d’extrême gauche accusée à plusieurs reprises d’avoir infiltré et radicalisé les Gilets Jaunes.
«Même si, parfois, ils ont pu être utiles devant la répression ultra-violente de la police», relativise l’intéressé, qui évoque «un rapport très subtil, voire dialectique» entre ces individus et les Gilets jaunes.
«À la fois, on les aime et on les déteste, confie-t-il. Ils sont parfois utiles, parce que mieux entraînés face à la police. Avec la répression d’en face, difficile de les rejeter en bloc quand ils vous donnent l’impression de ne pas faire que subir.»
Pour Fabrice Grimal, la police serait complice de leurs comportements extrêmes, notamment «a minima en les laissant faire, voire en les encourageant». Une stratégie selon lui voulue par l’État, visant «à salir l’image du mouvement» en l’associant toujours aux franges les plus jusqu’au-boutistes. De cette journée, le Gilet jaune historique préfère retenir le moment où La Marseillaise a été entonnée devant la flamme du soldat inconnu et le drapeau français hissé au sommet de l’Arc de triomphe.
Une violence qui couve
L’acte III des Gilets jaunes et la «prise» de l’Arc de triomphe, quatre mois après le début du mouvement, avaient eu un écho sans précédent. Les éruptions de violence surprendront à la fois les forces de police et les responsables politiques. Dans l’opinion, en revanche, rien ne bougera.
Si les sondages ont semblé révéler une condamnation massive des violences (69% des sondés selon l’IFOP), le soutien de la population serait resté sensiblement le même. En novembre 2019, un an après le début de la mobilisation, plus de la moitié des Français sondés approuvait encore cette rébellion. Depuis, «l’usure, les violences policières et les mesures sanitaires» ont mis un coup d’arrêt aux Gilets jaunes selon Fabrice Grimal. Mais, à la veille du premier confinement, le samedi 14 mars 2020, «une manifestation était encore organisée», rappelle-t-il.
«C’est vrai que c’est difficile de relancer la machine, confie le délégué général du Gouv. Mais les raisons de fond sont toujours là et la crise n’a fait que sensibiliser de nouvelles catégories socio-professionnelles à cette contestation de fond.»
Pour notre interlocuteur, le personnel soignant, les petits commerçants, les restaurateurs, les opposants à la réforme des retraites sont autant de mécontents qui pourraient converger et rallier les Gilets jaunes.
Depuis le début de la crise, l’État a néanmoins déboursé des milliards d’euros à travers les dispositifs d’aides au chômage partiel, les prêts garantis par l'État (PGE) ou encore le fonds de solidarité, ainsi que les reports et exonérations de charges.
«Certains secteurs n’ont reçu aucune aide ou seulement en partie», dénonce Fabrice Grimal. Selon lui, ces dispositifs ne servent «qu’à reporter le chaos du chômage et les faillites en cascade qui surviendront à la sortie de la crise».
«Il y a un schéma historique récurrent: beaucoup de révolutions ont eu lieu en deux temps. Donc viendra le moment où ça va repartir. Il faudra un second déclencheur. Et ça, personne ne sait d’où il viendra», conclut notre interlocuteur en se référant à la Révolution russe de 1917.