«On a du mal à comprendre cet acharnement sur les commerces alors qu'énormément d'efforts ont été faits sur le plan sanitaire.» Interrogé sur Europe 1, Geoffroy Roux de Bézieux, patron du Medef, a vivement critiqué l’impact des dernières décisions gouvernementales sur de nombreux commerces français. Annoncé le 18 mars, le reconfinement de 16 départements, dont ceux d’Île-de-France, s’est en effet accompagné de la fermeture des commerces dits non essentiels. Un véritable coup de massue pour bon nombre d’entre eux.
«La difficulté principale pour les commerçants est le manque de visibilité. Ouvrir, fermer, ouvrir, fermer… Un tel contexte est extrêmement stressant pour eux», explique au micro de Sputnik Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’Ifrap, think tank libéral.
Environ 90.000 établissements ont donc baissé le rideau, victimes de la stratégie de lutte contre le Covid-19. Une situation qu’a du mal à comprendre le patron des patrons français. Geoffroy Roux de Bézieux reproche notamment à l’exécutif de considérer les commerces comme des lieux de contamination alors que, selon lui, «ça vient loin derrière les familles, les entreprises, les proches».
Si la présidente de l’Ifrap est d’accord sur le fait d’adapter la stratégie de lutte contre le Covid-19 à la circulation du virus et de prendre des décisions en fonctions des territoires, elle insiste sur la nécessité de handicaper le moins possible l’économie:
«Il faut trouver le moyen de faire tourner un minimum l’ensemble des secteurs de l’économie. Je rappelle que sans parler des dernières mesures, la restauration, la culture ou l’événementiel sont quasi à l’arrêt depuis des mois».
Comme lors des précédents confinements, les arbitrages pour décider quels commerces peuvent rester ouverts et quels autres doivent fermer sont au centre du débat. Geoffroy Roux de Bézieux dénonce une «folie bureaucratique» qui «va se remettre en place comme au mois de novembre». «Le principe du confinement partiel des commerces ne fonctionne pas», assure-t-il, martelant que «ce n'est pas dans les commerces qu'on se contamine».
Un parfum de cacophonie
Actuellement, les fleuristes et magasins de plantes, les chocolatiers, les magasins de musique et les salons de coiffure peuvent poursuivre leurs activités. Une chance que n’ont pas les boutiques de vêtements par exemple. Ces dernières peuvent cependant continuer à fonctionner partiellement par le biais du «click & collect» qui permet aux clients de commander en ligne puis de récupérer leur achat sur place.
De nombreux observateurs pointent des incohérences dans les choix gouvernementaux qui ont été déjà plusieurs fois modifiés depuis l’annonce de ce nouveau confinement ou «troisième voie» comme préfère le qualifier Emmanuel Macron.
Le Monde raconte par exemple l’histoire de la confiserie franchisée Glup’s, rue du Gros-Horloge à Rouen. Perdue par les informations données par les autorités, Maryse, la responsable, a décidé de les joindre directement: «Je me suis renseignée auprès de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour qu’on me confirme que je pouvais vendre, je ne voulais pas risquer d’amende».
Côté politique, le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon a dénoncé sur France inter le placement des magasins de jeux vidéo dans la liste des commerces non essentiels: «C’est la première industrie culturelle du pays», rappelle-t-il. D’après lui, ces rayons-là sont fermés «parce que quelque part, dans un bureau, un bureaucrate a considéré que c’était non essentiel, à moins qu’il était 18 heures moins cinq».
À l’autre bout du spectre politique, Florian Philippot, président des Patriotes, s’est également exprimé sur la fermeture de ces 90.000 commerces. Il a appelé à «siffler la fin de cette sinistre récréation covidiste».
«Cette impression de cacophonie est notamment liée au fait qu’il est très difficile de décider qu’est-ce qui est essentiel et qu’est-ce qui ne l’est pas», souligne Agnès Verdier-Molinié.
Du côté du gouvernement, on semble être prêt à lâcher du lest. Alain Griset, ministre délégué aux PME, a assuré lors du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro du 21 mars que la liste des commerces autorisés à rester ouverts pourra évoluer: «On va éviter tous les jours de modifier les règles. Mais si jamais vraiment il y a une aberration, c'est possible, on ne sait jamais, on regardera positivement». «À Bercy, on est sur le pragmatisme, sur l'écoute, la concertation, donc si on voit que telle ou telle mesure peut être améliorée, on le fera passer chez le Premier ministre», a-t-il ajouté.
«Tout est essentiel pour l’économie du pays»
Justement, le patron de Bercy, Bruno Le Maire, a semble-t-il changé de position sur la question de la fermeture des commerces par rapport à l’automne dernier. Lors du deuxième confinement, il s’en était pris aux maires qui avaient décidé d’ouvrir des commerces non alimentaires de proximité telles les librairies, considérées alors comme non essentiels et donc non autorisés à poursuivre leur activité. «Ils pensent qu’ils soutiennent les commerçants, en réalité ils menacent la santé des Français», tempêtait alors le ministre.
Pourtant, ce lundi 22 mars sur RTL, Bruno Le Maire a lancé : «Pour moi, tous les commerces sont essentiels […]. С’est tout simplement la vie, le commerce: tout dans la vie est essentiel». «Je refuse cette distinction entre commerces essentiels et non essentiels […], tout est essentiel», a-t-il poursuivi.
Même son de cloche du côté de l’Ifrap et d’Agnès Verdier-Molinié:
«Il ne faut pas faire de choix, tout est essentiel pour l’économie du pays».
À l’instar d’Alain Griset, Bruno Le Maire explique que l’exécutif examine chacune des situations «pour voir s'il y en a qui doivent être corrigées», ne fermant pas la porte à une évolution de la liste des commerces autorisés à ouvrir.
Enfin, sur le plan économique, Geoffroy Roux de Bézieux se dit «sceptique» quant à la prévision du gouvernement qui table sur une baisse de 0,2 point de PIB en raison de ces nouvelles mesures. «Je pense que ce sera plus fort que ça», avertit-il.
L’Ifrap est sur la même longueur d’onde que le patron du Medef et juge que l’impact sera davantage proche des 0,4% de PIB. Agnès Verdier-Molinié assure que le calcul du gouvernement ne prend pas en compte les mesures déjà en place qui nuisent à l’économie, comme la fermeture des restaurants.
Le think tank a calculé que le couvre-feu plus les mesures de restrictions sanitaires annoncées le 18 mars représentent une perte de neuf milliards d’euros de PIB par mois.
«C’est beaucoup pour une économie qui a déjà souffert avec une récession de plus de 8% en 2020», souffle Agnès Verdier-Molinié.
Si elle se félicite que le contexte actuel soit loin de provoquer une perte de 16 milliards d’euros par semaine pour le PIB français comme lors du premier confinement, elle regrette que l’exécutif n’ait pas encore trouvé la bonne formule. Celle qui permet d’avoir «un virus qui circule moins et une activité économique qui continue».
«La France n’a plus les moyens du "quoi qu’il en coûte" et de toutes les mesures de soutien à l’économie qui s’ajoutent. Nous ne vivons que grâce à l’endettement. Je rappelle que la France a emprunté un milliard d’euros par jour en 2020», souligne Agnès Verdier-Molinié, auteure de La France peut-elle tenir encore longtemps? (Ed. Albin Michel).
D’après la figure de la droite libérale française, l’Hexagone va droit dans le mur s’il continue sur la même lancée en 2021. La directrice de l’Ifrap martèle que l’essentiel est d’assurer la continuité du travail au sein de la nation, quitte à s’inspirer de ce que tentent de mettre en place plusieurs pays étrangers.
«Il est également nécessaire d’avoir de véritables études d’impact sur les décisions qui sont prises. Nous devons savoir ce qu’elles coûtent en matière économique. Combien de destructions d’emplois, de faillites, de destructions de richesses provoquent-elles?», s’interroge Agnès Verdier-Molinié.
De plus, elle juge essentiel d’impliquer davantage les élus locaux dans le processus décisionnel en matière de lutte contre le Covid-19.
De même qu’elle évoque les polémiques entourant les chiffres publiés par les autorités concernant les malades du Covid-19:
«J’appelle à plus de transparence concernant les réanimations, la mortalité, etc. On a besoin de savoir réellement ce qu’il se passe».