L'affaire Sonko, le nouveau ciment de l'opposition sénégalaise

L’opposant sénégalais Ousmane Sonko a rendu visite aux organisations et personnalités qui lui ont apporté leur soutien après sa récente arrestation. L’objectif est d'entamer des consultations pour parvenir à unir l’opposition dans la perspective de la présidentielle de 2024.
Sputnik

À Dakar, l’opposition veut s’unir face au pouvoir en vue de la présidentielle de 2024. Au cœur de cette initiative, un homme, Ousmane Sonko, qui passe déjà pour être le principal opposant au Président Macky Sall.

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Le député et ancien candidat à la présidentielle de 2019 a été véritablement propulsé sur le devant de la scène internationale après son arrestation le 3 mars pour «viols et menaces de mort». Un complot ourdi par le pouvoir, selon ses soutiens qui se mobilisent à Dakar et dans d'autres villes du Sénégal pour obtenir sa libération. L'objectif est atteint, cinq jours plus tard, mais au prix de cinq morts selon un bilan officiel, et près de 600 blessés selon la Croix-rouge sénégalaise et de centaines d'arrestations d’après les défenseurs des droits de l’Homme.

Engagé depuis le 16 mars dans ce qui a été décrit comme une «tournée de remerciement» des acteurs qui l’ont soutenu pendant sa détention provisoire, Sonko en profite pour consulter d'autres hommes politiques dans la perspective de réunir l’ensemble de l’opposition sénégalaise, selon les médias locaux. 

​L'ambiance est à l'accalmie dans le pays, notamment après que la manifestation prévue pour le samedi 13 mars pour réclamer la libération des manifestants arrêtés a été annulée, à la suite d'une médiation de leaders religieux.

Un nouveau départ

L’initiative (discrète) de Ousmane Sonko a déjà trouvé des échos favorables chez l’opposant sénégalais Khalifa Sall, condamné en 2018 pour détournement de fonds publics, et gracié en septembre 2019 par le Président Macky Sall.

Resté discret depuis lors, l'ancien maire de Dakar est sorti de son silence après une rencontre avec Ousmane Sonko ce mercredi pour appeler à s’engager dans cette dynamique de l’union.

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«Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est le point d’un nouveau départ pour que la démocratie en consolidation puisse continuer à s’améliorer, à s’exercer pour tous et par tous. Il faut que nous continuions le combat, et que nous restions vigilants», a déclaré Khalifa Sall interrogé par RFI.

Il a appelé le peuple sénégalais à ne pas «désespérer», en l’assurant que l’opposition sénégalaise était en train de «construire ses actions».

«Cela a pris du temps, elle y parviendra. Quand il y a une majorité qui se conforte, qui se consolide et qui s’élargit, il faut une opposition qui s’unit et qui se renforce, qui est puissante et forte», a soutenu Khalifa Sall.

«Montrer à la mouvance présidentielle que l'opposition est crédible»

C’est un moment bien choisi pour cette initiative, croit Moussa Diop, analyste politique sénégalais au sein de Perspectives Afrique –un groupe de réflexion sur les politiques africaines établi à Bordeaux en France–, interrogé par Sputnik. Et pour cause, ajoute-t-il, «les vagues de manifestations populaires et violentes» qui ont découlé de cette affaire ont forcé cette opposition à «assumer des positions claires vis-vis de la situation nationale».

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Les positions auxquelles fait référence le politologue sénégalais portent globalement sur des principes de justice sociale et de sauvegarde des acquis démocratiques comme la garantie de l'indépendance de la justice, la séparation des pouvoirs, la préservation de la liberté d'expression.

Il y a aussi des questions liées au chômage mais aussi à la tentation d'un troisième mandat anticonstitutionnel attribuée au Président Macky Sall. Des points qui ont été soulevés lors des manifestations du 3 au 6 mars, soit par des manifestants, soit dans des déclarations de partis politiques.

«Au-delà du gain politique, l'enjeu est aussi de montrer à la mouvance présidentielle qu'il y a encore une opposition politique, viable et crédible» précise Moussa Diop.

Candidature unique à l’avenir?

Ces prémices d'une large coalition de l’opposition qui semble donc se dessiner au Sénégal autour de l’opposant Ousmane Sonko (ou pas), doivent s’étendre à d’autres acteurs de l’opposition s’il veut ratisser large, suggère l’analyste politique sénégalais Moussa Diop. Il pense notamment qu’il faudra compter avec Karim Wade, le fils de l’ancien Président sénégalais Abdoulaye Wade, condamné en 2015 pour malversations financières avant d’être gracié en juin 2016 par le Président Macky Sall.

La réintégration de ces deux opposants dans l'échiquier politique national était d’ailleurs une demande urgente dans les rangs de l’opposition ces derniers jours. Ils avaient en effet été mis hors-jeu dans leur ambition de briguer un mandat présidentiel du fait de leur condamnation judiciaire.

Mais «il ne faut pas non plus croire naïvement à un scénario du "tous contre Macky", ou d'une alliance effective de l'opposition, qui aboutirait au choix d'un candidat unique», prévient déjà Moussa Diop. D'autant plus que, en l'état actuel de la Constitution, «on s'achemine vraisemblablement vers des élections sans Macky Sall, en 2024, avec l'hypothèse d'un dauphin du côté de la mouvance présidentielle qui semble se dessiner. En 2024, on devrait assister à des élections présidentielles avec une pluralité de choix», prédit-il.

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