Sauve-qui-peut! Les pays de l’UE tombent-ils dans le «chacun pour soi» face aux vaccins?

Plusieurs États européens se passent de Bruxelles pour tenter d’obtenir leurs lots de vaccins contre le Covid. S’il n’y a rien d’inconventionnel à cela, la politique commune d’achat qui avait été décidée en prend un sérieux coup. De quoi mettre à mal une cohésion déjà bien éprouvée par la pandémie? Sputnik fait le point.
Sputnik

Le Covid-19 fait-il une nouvelle fois trembler les fondations de l’Union européenne? Plusieurs pays des 27 la jouent solitaire pour obtenir leurs lots de vaccins, les multiples délais supplémentaires de livraison annoncés par les laboratoires ayant eu raison de la patience de nombreuses nations du Vieux Continent.

Alors que les États de l’UE s’étaient mis d’accord pour passer des commandes groupées au prorata des populations, et donc gérer l’approvisionnement à Bruxelles, cette stratégie a du plomb dans l’aile. Début février, la Hongrie a rompu les rangs en étant le premier pays de l’UE à utiliser le vaccin du laboratoire chinois Sinopharm, «sans avoir attendu l’approbation de l’Agence européenne des médicaments», souligne Le Monde.

«Trop de lenteur»

Pas moins de cinq millions de doses ont été commandées par Budapest. De quoi traiter un quart des 9,8 millions d’habitants. Avant le vaccin chinois, la Hongrie avait déjà autorisé le sérum russe Spoutnik V en janvier, là encore sans attendre le blanc-seing européen. Le Premier ministre hongrois Viktor Orban avait critiqué à plusieurs reprises Bruxelles pour sa lenteur dans les processus de validation et d’achat des vaccins. Il est même allé plus loin dans le pied-de-nez à l’UE en se faisant injecter celui de Sinopharm devant les caméras.

​Désormais, son pays est loin d’être le seul de l’Union à faire appel aux vaccins russe et chinois. C’est devant les premières caisses livrées de Spoutnik V que le Premier ministre slovaque a donné une conférence de presse, et ses voisins tchèques ne devraient pas tarder à recevoir leurs doses de ce même vaccin. Du côté polonais, le chef du gouvernement a d’ores et déjà appelé son homologue chinois pour s’en procurer.  

«ll y aurait trop de lenteur pour attendre que l’Agence européenne des médicaments se coordonne avec l’Agence tchèque du médicament et débloque suffisamment de vaccins pour traiter une grande proportion de la population», souligne dans Économie Matin Alice Léger, consultante en communication santé, qui rappelle que Prague doit faire face à de très nombreux cas du variant sud-africain.

Europe 1 note également qu’une alliance a été conclue par l’Autriche et le Danemark avec Israël «pour le développement et la production de vaccins de nouvelle génération contre le Covid-19». Une nouvelle qui n’a pas ravi Bruxelles. De même que la France qui, par l’intermédiaire du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a martelé que la vaccination «doit continuer de reposer sur le cadre européen». «Nous devons coopérer sur ce dossier au sein de l'Union européenne [...] mais nous devons aussi coopérer à l'échelle mondiale», a quant à lui déclaré Sebastian Kurz, le chancelier autrichien, n’écartant donc pas l’option de rompre lui aussi la solidarité communautaire.

​Le cas d’AstraZeneca est révélateur de ce qui a poussé plusieurs pays de l’UE à faire cavalier seul. L'Agence européenne des médicaments (EMA) doit, selon toute vraisemblance, rendre ce 18 mars un avis favorable concernant l’utilisation du vaccin produit par le laboratoire suédo-britannique. Ce qui permettrait de relancer les vaccinations dans les nombreux pays où il avait été suspendu. Problème: AstraZeneca accumule les retards de livraison. Le 10 mars, le groupe pharmaceutique a confirmé que seulement 30 millions de doses seront livrées à la fin mars pour l’UE, comme le souligne Le Monde.

Un chiffre bien en dessous des 40 millions de doses promises par le PDG Pascal Soriot en février dernier, alors qu’il s’adressait aux députés européens. «Et nettement en dessous des 120 millions promis initialement par l’entreprise», rappelle le quotidien vespéral.

​Un retard qui met sérieusement à mal les objectifs que s’est fixé le gouvernement français. Début mars, le Premier ministre Jean Castex promettait 10 millions de personnes vaccinées à la mi-avril et 30 millions «d’ici à l’été». D’autant qu’AstraZeneca n’est pas le seul fournisseur à décevoir côté approvisionnement. «Le vaccin de Johnson & Johnson, tout juste approuvé, devrait arriver en France à un rythme moins soutenu qu'espéré (1 million de doses attendues fin avril au lieu de 3)», rapporte ainsi LCI. De quoi semer la zizanie en Europe.

«Chacun y va donc de sa stratégie! Cependant, le ressenti général au sein de l’Union européenne est celui de "la diplomatie du chacun pour soi" pourvu que le nombre de malades et de décès puisse baisser dans son pays», souligne Alice Léger.

L’experte rappelle que les pays de l’Union sont souverains en matière de santé et qu’il n’y a rien d’inconventionnel à s’approvisionner directement auprès des laboratoires. Reste que la cohésion de l’UE ne ressort pas grandie du contexte actuel. Un diplomate cité par Europe 1 préfère être optimiste en soulignant que ces démarches «ne viennent pas du cœur du réacteur européen». «C'est normal de jouer sur plusieurs tableaux, c'est de la politique», lance quant à lui «un expert fataliste», selon les mots de la radio.

Immersion dans la campagne de vaccination «mobile» en plein cœur de Moscou - photos

«A-t-on atteint la limite des commandes et distributions collectives, au prorata des populations, en passant par Bruxelles?», s’interroge Alice Léger. Ce tableau rappelle la situation au printemps 2020, quand plusieurs pays européens n’avaient pas brillé par leur solidarité. Alors que l’épidémie de Covid-19 créait la panique au sein des chancelleries, l’Allemagne interdisait début mars l'exportation de matériel médical de protection. Le 12 mars, lors de sa première allocution officielle sur le coronavirus, Emmanuel Macron lançait ceci face aux Français: «Ce virus, il n’a pas de passeport. Il nous faut unir nos forces, coordonner nos réponses, coopérer. La coopération européenne est essentielle et j’y veillerai.»

Pékin à la rescousse, une fois encore

La suite de l’histoire s’est chargée de remettre en cause la sentence élyséenne. Trois jours après l’allocution d’Emmanuel Macron, Bruxelles annonçait que les exportations d'équipements médicaux de protection devaient être soumises à l'autorisation des gouvernements de l’Union. Il n’en fallait pas plus pour faire dire au Président serbe Aleksandar Vucic, dont le pays est candidat à l’adhésion à l’UE, que la solidarité européenne était «un conte de fée». Le chef de l’État serbe avait alors fait appel à la Chine. «Nous attendons ici nos frères chinois. Il s'avère que sans vous, l'Europe peut difficilement se défendre […] Nous plaçons tous nos espoirs dans le seul pays qui peut nous aider dans cette situation difficile», avait-il déclaré lors d’un déplacement à l’ambassade de Chine à Belgrade.

​Pékin s’était également porté au chevet de l’Italie, particulièrement touchée par le Covid-19 au printemps 2020. À l’époque, Bruxelles tergiversait sur l’aide, principalement économique, à apporter aux pays les plus durement frappés, Italie en tête. De quoi faire dire, sous la plume d’Il Fatto Quotidiano, des mots durs à l’ancien chef du gouvernement italien: «Conte dit à une Europe morte d'aller se faire foutre.»

Difficile de savoir si la question des vaccins est de nature à déchirer une nouvelle fois l’Union européenne. Le mot de la fin pour Alice Léger, toujours sur Économie Matin:

«La France pourrait-elle à son tour acheter des doses sans passer par l’UE? Alors que l’Europe rappelle que le cadre européen est là pour garantir la solidarité entre États membres et que les capacités de production vont s’accroître considérablement, il règne un certain désordre vaccinal européen qui a quelque peu mis à mal la confiance en l’institution.»
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