Pour ces Moscovites, la foi c’est l’action: comment une association orthodoxe sauve les sans-abri

Que signifie être «un bon chrétien»? Pour les fondateurs d’une association orthodoxe d’aide aux sans-abri, cela signifie non seulement aller à l’église et respecter le jeûne, mais aussi aider les plus démunis. Un codirecteur du projet a présenté à Sputnik sa mission.
Sputnik

L’association caritative «Mouvement populaire orthodoxe de la gare de Koursk. Les sans-abri. Les enfants» vient en aide aux plus démunis à Moscou depuis déjà 15 ans. Elle commence son activité en 2006, se consacrant d’abord aux enfants SDF. À la suite des troubles que traverse la Russie après le l’éclatement de l’URSS et la crise économique qui s’en suit, gares et ponts en regorgent. Ils font la manche, s’adonnent aux vols et sniffent de la colle. Comme beaucoup de choses, tout a commencé par hasard, souligne à Sputnik Oleg Olkhov, codirecteur de l’association. Le 18 janvier 2006, par -20°C, Boris Ryjov, utilisateur d’un forum web réunissant des orthodoxes pratiquants, passe par la gare de Koursk où il voit un groupe d’adolescents légèrement vêtus en train de quémander.

Peu avant, il participait à une discussion culinaire sur le forum portant sur les recettes à utiliser pendant le jeûne. Soudain, il a un déclic: ne peut être formellement chrétien celui qui discute de ses recettes préférées sur Internet quand il y a des enfants qui souffrent du froid et n’ont rien à manger. C’est tout simplement amoral.

Boris décide alors d’aider ces enfants démunis. Ils leur achètent à manger puis partage ses idées sur le forum. Il invite ses collègues à le rejoindre le lendemain, alors qu’il s’apprêtait à préparer de la nourriture chaude pour l’offrir aux jeunes.

Le 19 janvier, date de fondation du mouvement, est symbolique pour les orthodoxes qui célèbrent l’Épiphanie. En 15 ans, leur cause a attiré des centaines de bénévoles, ponctue Oleg Olkhov.

L’attitude des autorités

Même si formellement, la police a le droit de disperser leurs «rassemblements», elle se montre indulgente, note Oleg. Voyant que les bénévoles ne font que nourrir des pauvres gratuitement, elle ne chasse personne, bien qu’il n’existe aucune loi réglementant l’aide aux sans-abri. Plusieurs membres des forces de l’ordre font même partie du mouvement.

Les choses sont plus compliquées avec l’administration de la gare qui n’a aucune considération pour les SDF et essaie de les expulser hors de sa zone de responsabilité. «Un comportement et une psychologie propres aux fonctionnaires, selon le principe "pas dans mon arrière-cour"», ajoute le militant.

Pour lui, les autorités sont un mal nécessaire sans lequel la société ne peut exister, mais qui n‘offre aucune aide.

Quant aux habitants, ils désapprouvent à 90% l’action du mouvement, regrette Oleg. «Pour eux, les sans-abri sont un mal inconditionnel». Toutefois, il se montre compréhensif: si la vie est difficile, peu de personnes sont capables de penser aux démunis et de les tolérer à côté d’elles.

Un constat que les bénévoles acceptent et qui ne changera jamais, avoue le militant. Or, si certains riverains portent de temps en temps plainte contre la présence de sans-abri à proximité, les autorités «ne réagissent que formellement» et ne font rien pour arrêter leur activité, se réjouit-il.

«Les sans-abri sont le problème de chaque société à l’exception de celle qui est autoritaire», estime Oleg Olkhov. En URSS, il n’y avait pas de SDF, rappelle-t-il. Paradoxalement, le pouvoir athée traitait les sans-abri chrétiennement et les empêchait de plonger, note-t-il.

Qui sont ces personnes?

D’où viennent leurs «clients»? Dans la plupart des cas, ils sont amenés par des SDF de longue date, explique Oleg. En effet, «tout le monde se détourne d’un homme qui vient d’être dépouillé à la gare, car il vient d’être battu et a l’air dangereux. La police ne peut l’aider qu’en enregistrant sa plainte, mais elle ne peut pas lui acheter un billet pour qu’il puisse retourner chez lui. Il existe cependant un bouche-à-oreille parmi les SDF, qui informe de notre mouvement, l’amène vers nous et nous aidons».

Il existe également un groupe de personnes venues travailler à Moscou clandestinement, que les employeurs trompent et ne paient pas. «Nous leur offrons de la nourriture et des produits d'hygiène. Quand leur vie reprend son cours normal, ils arrêtent de venir, et parfois reviennent avec des dons en guise de remerciement.»

Les SDF de longue date sont justement une autre catégorie de démunis, dont beaucoup souffrent de troubles mentaux. Ils viennent pour recevoir à manger, pour discuter, pour lire des livres. Ils préfèrent les romans policiers et autres lectures de distraction, précise M.Olkhov.

Outre ces catégories de démunis, le mouvement aide des asiles pour sans-abri, handicapés et orphelins auprès d’églises dans les environs de Moscou et dans huit autres régions russes. Il collecte des vêtements, de la vaisselle, du linge et des produits alimentaires et les achemine à ceux qui en ont besoin. Car des familles nombreuses en province vivent souvent dans des conditions pires que celles des sans-abri à Moscou, déplore le militant.

Lors des séances de distribution de nourriture, les bénévoles donnent aussi des consultations sur la façon de renouveler les papiers, de rechercher du travail, de retourner à la maison. Ils ont également un point d'accueil installé devant une église non loin de la gare de Koursk qui distribue tous les mardis et jeudis de la nourriture, des vêtements et des sous-vêtements. Il y a un téléphone que les demandeurs d’aide peuvent utiliser sans limites pour appeler leurs proches ou un employeur potentiel. Tous les mercredis, un médecin vient les voir et leur donne des médicaments si nécessaire.

Le financement

Le projet est totalement financé par des particuliers, explique Oleg Olkhov. À 90%, il s’agit de chrétiens orthodoxes qui n’ont pas le temps d’aider les bénévoles en personne. Ils offrent de l’argent, apportent des produits alimentaires et d’hygiène, des vêtements de seconde main, des meubles et des appareils ménagers pour les habitants de la province.

Nombreux sont ceux à le faire depuis des années. Certains hommes d’affaires financent l’achat de vêtements bon marché, de savon et de shampooing. La plupart des dons sont anonymes ou constituent une aide épisodique. Nombreux sont ceux qui donnent impulsivement, en passant à côté des bénévoles, poursuit Oleg.

Quant à l’État, «il nous aide par le fait de ne pas nous en empêcher, et c’est ça l’essentiel», juge le militant.

Les perspectives

Pendant la pandémie, le travail des bénévoles ne s’est pas arrêté, bien qu’à chaque fois, ils allaient distribuer de la nourriture «comme si ce serait la dernière fois», confie Oleg. Ils ont été interpellés à plusieurs reprises, mais ensuite tout a été arrangé, avec le respect de la distanciation sociale et la distribution de masques et de désinfectants. De nouveaux bénévoles sont venus les aider.

Le projet s’élargit sans cesse, assure son codirecteur. De nouvelles demandes d’aide viennent de la province, de nouvelles personnes sont engagées. «La possibilité de gérer tout cela nous est donnée par Dieu, grâce à autrui», car le mouvement a besoin d’aide, sans cesse.

«Dieu merci pour tout!», s’exclame Oleg Olkhov.
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