Ottawa a donné à Mark Zuckerberg la chance de se racheter. Le 12 mars dernier, le patron de Facebook a été convoqué devant le comité du patrimoine de la Chambre des communes. Les parlementaires chargés du dossier souhaitent l’entendre sur divers enjeux relatifs au financement des médias et à l’encadrement des discours haineux sur les réseaux sociaux. Le fait de ne pas se présenter peut être considéré comme un outrage au Parlement. Pourtant, le fondateur du réseau social ne semble guère se soucier de cette convocation.
«Si Facebook prenait la protection des renseignements personnels au sérieux, elle collaborerait avec notre commissaire à la protection de la vie privée et Mark Zuckerberg comparaîtrait devant notre comité parlementaire international. Or, dans les deux cas, il n’y a eu que des refus», déplorait en mai 2019 le député Nathaniel Erskine-Smith, alors vice-président du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique.
«Mépris de Facebook pour les droits des citoyens canadiens», manque de respect envers «la volonté des parlementaires»: les élus canadiens s’étaient montrés sévères envers le grand patron de Facebook.
Assignation à comparaître: Zuckerberg va-t-il encore briller par son absence?
Spécialiste de l’industrie numérique, Michelle Blanc estime qu’il est très improbable que Mark Zuckerberg honore le comité de sa présence, surtout que Facebook Canada a annoncé que l’entreprise dépêcherait à Ottawa son directeur mondial et responsable de la politique publique, Kevin Chan.
«Zuckerberg n’était pas allé à sa première convocation et il n’y avait pas eu de conséquences. C’est une sorte de bras de fer. S’il décide d’y aller, il montre qu’il accorde de l’importance à l’exercice et ce n’est pas dans ses intentions. […] On sait aussi que Facebook refuse toute participation au financement des médias, or cette ponction est l’un des principaux objectifs d’Ottawa», explique l’analyste à notre micro.
En effet, il est de notoriété publique qu’Ottawa souhaite contraindre Facebook à contribuer au financement des médias canadiens, dont plusieurs se trouvent dans une situation difficile. Des experts attribuent cette situation au passage au numérique et à l’avènement des réseaux sociaux.
Fin février dernier, Facebook bloquait le partage d’articles issus de médias australiens sur sa plateforme. Par cette mesure coercitive temporaire en forme d’avertissement, l’entreprise californienne réagissait à la présentation d’un projet de loi du Parlement australien qui comptait l’obliger à payer l’utilisation de contenus produits sur l’île.
Financement des médias par Facebook: le Canada sur la voie de l’Australie
Le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, avait dénoncé un geste «hautement irresponsable» de la part de la firme californienne. Voilà de quoi donner le ton à la politique qu’il appelle de ses vœux à l’égard des médias sociaux!
«Avant longtemps, il y aura cinq, dix, quinze pays qui vont adopter des lois, des règlements semblables. Est-ce que Facebook va couper les liens avec l’Allemagne, avec la France, avec le Canada, avec l’Australie et d’autres pays qui se joindront [au mouvement] […] Cette position-là de la part de Facebook va devenir complètement intenable», s’est insurgé le ministre du Patrimoine durant un point presse.
«Non seulement Facebook ne veut pas payer pour les médias, mais Zuckerberg doit savoir que des élections fédérales pourraient être déclenchées rapidement. L’avenir de la loi est donc incertain. Maintenant, ajoutez à cette situation que Facebook se croit au-dessus des États et que le rapport de force est asymétrique entre lui et Ottawa», souligne l’auteur des «Médias sociaux 201» (éd. Logiques, 2011).
Preuve de son influence tentaculaire, l’entreprise californienne a déjà tenté de recruter des fonctionnaires canadiens travaillant précisément sur le dossier de la réglementation des géants du Web. Pour Michelle Blanc, la seule manière de limiter le pouvoir grandissant des GAFAM serait d’instaurer un droit international du numérique:
«Il est difficile de légiférer sur le numérique, car les États n’ont pas vraiment d’emprise sur les groupes comme Facebook ni même sur le site pornographique Pornhub. Leurs cas concernent souvent plusieurs pays à la fois. Il nous faudrait l’équivalent du droit de la mer pour le monde du numérique. Il faut un droit supranational pour ces entreprises supranationales», conclut Michelle Blanc.