Reconfinement de l’Île-de-France: «Une décision risquée et dangereuse qui ne servirait à rien»

L’Île-de-France est sur «le fil du rasoir». La saturation des services hospitaliers fait craindre l’hypothèse d’un reconfinement de la région. Une solution que le gouvernement a toujours à l’esprit face à la propagation du virus. Pourtant, selon le médecin urgentiste Gérald Kierzek, les indicateurs ne sont pas au rouge.
Sputnik

Ce week-end, six transferts de patients d’hôpitaux franciliens ont eu lieu. Une centaine est aujourd’hui programmée, toujours dans l’idée de soulager les services de réanimation de la région. L’Île-de-France serait «en sursis». Ce sont les termes employés par Valérie Pécresse sur France 2 ce lundi 15 mars. La présidente de la région a fait part de son inquiétude face au spectre de la saturation hospitalière.

Le Premier ministre évoquait déjà ce week-end dans une interview au Monde une situation «préoccupante», sur «le fil du rasoir». Un an après le début de la crise sanitaire, l’hypothèse d’un troisième confinement fait toujours débat au sein de l’exécutif, qui pour l’instant souhaite l’éviter. Jusqu’à quand? Pour Gérald Kierzek, médecin urgentiste à l'Hôtel-Dieu (AP-HP) à Paris, «une telle solution ne servirait à rien». Elle pourrait même être «contre-productive», affirme-t-il au micro de Sputnik.

Paris brûle-t-il?

Avec plus de 1.100 personnes en service de réanimation, l’Île-de-France connaît une saturation de ses capacités d’accueil. «On a une situation (...) qui pèse beaucoup sur le personnel soignant et qui est inquiétante, et on ne s'en cache pas» confiait le Premier ministre Jean Castex au cours d’une interview sur la plateforme Twitch ce week-end.

​Or, la situation ne serait qu’«un peu plus tendue que d’habitude» selon Gérald Kierzek, qui conteste le diagnostic d’une «flambée épidémique».

«Il ne faut pas rester focalisé sur le taux d’incidence ou sur le nombre d’hospitalisations en réanimation, martèle le médecin. Chaque hiver, celles-ci sont occupées à plus de 90%. Il n’y pas d’épidémie "qui flambe" pour autant.»

Ainsi celui-ci invite-t-il à élargir la focale et à prendre en compte tous les autres indicateurs avant de mettre l’Île-de-France sous cloche: l’évolution du nombre de consultations en médecine générale, les chiffres du réseau Sentinelles (spécialisé dans la recherche et la veille en soins de premiers recours), les informations de SOS Médecin, le taux de patients Covid admis dans les hôpitaux d’urgence, le pourcentage d’occupation des lits d’urgence, etc.

«Au final, tout ça n’est pas dramatique», avance-t-il à notre micro, sans pour autant sous-estimer «la surcharge réelle de ses collègues qui pèse depuis des mois, voire des années».

Promesse non tenue: pendant la pandémie, les suppressions de lits d’hôpital se poursuivent
À l’en croire, les services de réanimation franciliens disposeraient encore d’une marge de manœuvre. À l’heure actuelle, le remplissage des 1.200 lits de la région n’est pas encore atteint. Et le médecin de rappeler que, au mois de mars 2020, au cours de la première vague, face à l’afflux de patients, le nombre de lits de réanimation avait quasi doublé dans l’urgence. Un effort qui pourrait donc être répété.

Toujours pour y voir plus clair, notre interlocuteur appelle également à ne pas faire du taux d’incidence l’unique indicateur de la politique sanitaire. Dans son interview sur Twitch, le Premier ministre rappelait que le dépassement du seuil des 400 nouveaux cas positifs pour 100.000 personnes avait justifié les mesures restrictives prises dans d’autres départements. Or, la même semaine, Le Parisien révélait que le même taux d’incidence était en réalité gonflé de 10% par rapport à la réalité. Un problème de «dédoublonnage de deux tests positifs pour une même personne» aurait faussé les calculs. «Voilà pourquoi il ne faut pas se focaliser sur ce seul indicateur pour décider ou non d’un reconfinement», tranche Gérald Kierzek.

Et si les chiffres étaient hors de contrôle? Réponse de l’intéressé:

«Il y aurait une vraie flambée épidémique, on pourrait peut-être songer à confiner la région, admet-il sans se départir d’une certaine réserve: Et encore…»

Un remède pis que le mal

 «Troisième confinement: ce n’est plus qu’une question de jours», titrait le JDDfin janvier 2021. L’hypothèse d’un troisième confinement (national cette fois-ci) avait alors parcouru la presse entière. Revirement de situation, le gouvernement démentait l’information en repoussant cette nouvelle mesure. «Il est possible qu’on ne soit jamais reconfinés», allait jusqu’à déclarer Olivier Véran. Les confinements régionaux ont pourtant fait mentir le ministre de la Santé. 

Dans la configuration actuelle, «un reconfinement ne servirait à rien», s’agace Gérald Kierzek:

«C’est même très risqué, avec un taux d’incidence à 300 ou 400 de claquemurer tout le monde à la maison, ajoute-t-il. La première forme de propagation du virus, c’est la contamination intrafamiliale. Il y a aussi une évolution naturelle de l’épidémie qui fait que nous arrivons probablement à une certaine forme de résistance au virus dans la population.»

Pour celui qui est confronté chaque jour à la crise sanitaire à l’Hôtel-Dieu, c’est au niveau des services de réanimation qu’il faut porter les efforts. Notamment en les vidant des malades. Les opérations de transfert orchestrées par le gouvernement ne suffiront pas selon lui. «Il n’y a pas que la réa», explique le praticien. La prise en charge en amont, notamment par une plus large disponibilité en lits conventionnels, serait la priorité.

«Les jeunes, par exemple, une fois contaminés, attendent trop avant d’être hospitalisés. Ils atterrissent directement en réa. S’ils arrivent plus tôt et qu’on observe une pneumonie après scanner, on les hospitalise dans des lits conventionnels et on évite ainsi de surcharger la réa», explique l’urgentiste.

Quoi qu’il en soit, au plus haut niveau de l’État, la réticence à engager le reconfinement se fait sentir. On sait désormais que confiner est «un acte extrêmement fort avec des conséquences très lourdes», comme le rappelait Jean Castex. Le rapport bénéfices-risques pourrait s’avérer dissuasif. Avec des dégâts en série. «Notamment avec les déprogrammations d’opérations chirurgicales», qui sont «une catastrophe», ajoute notre interlocuteur.

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