La France soudée autour d’idéaux universalistes s'essouffle, estime un politologue

Une partie importante des Français ne se sent liée à aucune communauté, qu'elle soit nationale ou d'une autre nature, selon le politologue et chercheur à Sciences Po Luc Rouban, qui y voit un essor du populisme. Pour lui, le modèle républicain est défendu essentiellement par les classes supérieures.
Sputnik

Dans un entretien accordé à L’Express, le politologue Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et professeur à Sciences Po, évoque l’avenir du modèle républicain et revient sur la notion de populisme.

La société française est atomisée, affirme-t-il. Pour étayer ses propos, le politologue revient sur sa note intitulée «La France: une République désintégrée», publiée en février. Il cite notamment un sondage selon lequel 45% des Français ne se sentent reliés à aucune communauté, qu'elle soit nationale ou d'une autre nature. Et seulement 25% se représentent la France comme une nation relativement unie en dépit de ses différences.

Le populisme

Ceux qui n’appartiennent à aucune communauté «ont une faible confiance envers les autres, se sentent très contraints dans leurs choix de vie, rejettent le jeu de la démocratie représentative ordinaire et montrent de l'appétence pour des formes d'autoritarisme», avance le chercheur. Ils ne veulent pas la dictature, mais se disent qu'un «dirigeant à poigne sera plus efficace pour régler les problèmes».

Ce qui alimente le populisme, c'est le sentiment que l'accès au monde des élites est «fermé, codé, réservé», affirme le politologue.

«En France, sans diplôme, on ne s'en sort pas»

Beaucoup de ceux qui soutenaient les Gilets jaunes en 2018 expliquaient qu'en dépit des efforts qu'ils ont fournis toute leur vie, ils ne se sentent pas reconnus, note le chercheur.

«En France, sans diplôme et sans intégration dans un corporatisme de grande école ou de réseau familial ou autre, on ne s'en sort pas ou difficilement. Autrement dit, la promesse républicaine du mérite n'est pas tenue», fait remarquer M.Rouban.

Il estime que dans les sociétés moins corporatistes comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni, l'espoir d'une mobilité sociale ascendante est plus fort.

L'exemple de la crise sanitaire

Quant à la gestion de la crise sanitaire par l’exécutif français, le politologue juge son bilan assez comparable à celui de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Or c’est en France que l'opinion est bien plus sévère envers le gouvernement, souligne-t-il. En Allemagne ou au Royaume-Uni, les critiques de l'opposition s'intègrent dans le «jeu politique normal», note-t-il, tandis qu’en France, la situation est inverse.

«Chez nous, l'Assemblée nationale est devenue une sorte de chambre d'enregistrement et le Premier ministre a été rabaissé au niveau d'un deuxième secrétaire général de l'Élysée depuis la malheureuse mise en place du quinquennat de 2000», poursuit le chercheur.
L’insécurité culturelle

D’après lui, aujourd'hui, le modèle républicain est défendu essentiellement par les classes supérieures, et la masse d'électeurs «détachés» est une force très instable.

«Notre enquête montre que 42% des Français sont d'accord avec l'idée "qu'en démocratie rien n'avance, il vaudrait mieux moins de démocratie et plus d'efficacité", et si une vision "managériale" de l'efficacité publique s’emporte, c’est bien dans elle ou s'enracine le populisme», conclut-il.
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