Algérie: «Il est insensé d’imaginer un changement démocratique sans l’armée»

En Algérie, «nous n’assistons pas à un retour du Hirak tel que nous l’avons connu en février 2019, mais à quelque chose de nouveau, d’inquiétant et même de dangereux pour la stabilité et la cohésion nationale», affirme à Sputnik Samir Bouakouir, haut cadre du parti FFS, qui pointe «une dérive réactionnaire et "contre-révolutionnaire"».
Sputnik

La nouvelle administration américaine est composée en grande partie de l’ancienne équipe Obama qui a promu «le Printemps arabe» dans plusieurs pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (MENA), dont la Syrie, l’Irak et la Libye qui ont été dévastés par la guerre. En effet, la chute de Mouammar Kadhafi en 2011 suite à l’intervention de l’Otan sous instigation française a eu un effet dévastateur sur la stabilité et la sécurité de la région, notamment au Sahel.

Dans ce contexte, la reprise des marches hebdomadaires du Hirak en Algérie, lors desquelles des slogans très violents à l’égard de l’armée sont scandés de manière coordonnée à travers tout le territoire, pose plus d’une question sur l’identité et les objectifs des parties qui tirent les ficelles de ces manifestations. En effet, plus de deux ans après son début le 22 février 2019, le Hirak, qui n’a ni réussi à dégager une seule et même direction, ni à développer un projet alternatif à celui du pouvoir qu’il décrie, semble avoir été récupéré par des «organisations islamistes aux ramifications internationales et par les séparatistes».

Algérie: «Il est insensé d’imaginer un changement démocratique sans l’armée»
Dans un entretien à Sputnik, Samir Bouakouir, ancien secrétaire général du plus vieux parti d’opposition algérien, le Front des forces socialistes (FFS), et actuel conseiller politique du nouveau président du parti, analyse la situation à l’aune de toutes ces données, pointant directement les parties qui tentent de déstabiliser le pays tout en reprochant au pouvoir son immobilisme. Ainsi, il propose une porte de sortie par le haut afin d’éviter un glissement de la situation aggravée par une crise économique, financière et sanitaire sans précédent à l’échelle nationale et internationale, porteuse de danger pour la paix et la stabilité dans le monde.

«Une dérive "contre-révolutionnaire"»

«Depuis le début d’année, nous n’assistons pas à un retour du Hirak tel que nous l’avons connu en février 2019 - ce formidable mouvement démocratique et social qui a sauvé l’État de l’effondrement et ouvert la voie à des réformes politiques démocratiques radicales -, mais à quelque chose de nouveau, d’inquiétant et même de dangereux pour la stabilité et la cohésion nationale», affirme M.Bouakouir.

​«Les mots d’ordre "Djeich Chaâb Khawa Khawa![l’Armée et le Peuple sont des frères, ndlr]" ou "Non à l’ingérence étrangère!" ont laissé place à des slogans grossiers, provocateurs et guerriers, visant ouvertement le cœur de l’État: l’institution militaire, comme celui: "État civil et non militaire!"», estime-t-il, soulignant que «le "Hirak" actuel, ou "néo-Hirak", n’en déplaise à Michelle Bachelet, [haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, ndlr], visiblement désinformée, est devenu un instrument aux mains d’islamistes radicaux [les anciens du Front islamique du salut (FIS) dissous et le mouvement Rachad dont l’une des figures de proue est l’ex-diplomate algérien réfugié à Londres, Mohamed Larbi Zitout, ndlr] et de courants «ethnicistes», autonomistes et séparatistes [Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), ndlr]».

Et de poursuivre: «nous sommes bel et bien dans une dérive réactionnaire et "contre-révolutionnaire" […]. La collusion de ces derniers avec certains cercles maffieux et oligarchiques compradores, accrochés aux vieux privilèges généreusement distribués sous l’ancien régime Bouteflika, qui agissent sournoisement au sein des appareils de l’État algérien pour parasiter toute initiative de dialogue et d’ouverture politique, n’est plus un mystère pour personne!».

«Pousser au chaos pour justifier les ingérences étrangères»

Évoquant les tenants et les aboutissants de ce «néo-Hirak», Samir Bouakouir explique que «cette radicalisation est le fait d’individus, de groupes et de sectes politico-idéologiques, en Algérie et surtout à l’étranger, inscrits dans des logiques "atlantistes" des "révolutions" dites non-violentes à portées exclusivement géostratégiques inspirées de Gène Elmer Sharp, à l’exemple des révolutions colorées, dont la bande à Zitout est l’un des principaux porte-drapeaux».

«Constatant une méfiance de la majorité du peuple, particulièrement celles des masses laborieuses, ils tentent désespérément d’attiser la colère populaire et de pousser à l’affrontement et au chaos pour justifier les ingérences étrangères», avertit-il.
Par ailleurs, il pointe la jonction avec «les leaders "autoproclamés du Hirak", pour la plupart issus de classes moyennes et supérieures urbanisées et totalement coupés du pays profond et qui développent une conception formelle et abstraite de la démocratie dépouillée de tout contenu social dynamique».

Dans le même sens, il dénonce «une sorte de deal tacite - une conjuration des extrêmes - pour détruire l’État national et imposer, pour les uns, le projet de restauration du califat islamique, pour les autres, la sécession de la Kabylie […]. Des objectifs antagoniques, mais une même cible: le projet national souverainiste et l’unité du pays».

Un «changement démocratique sans l’accompagnement de l’armée»?

Dans le contexte de la crise économique, financière, sécuritaire et sanitaire sur le plan national, régional et international, M.Bouakouir se demande «comment ne pas voir qu’une déstabilisation de l’Algérie peut entraîner des conséquences graves non seulement dans la région nord-africaine et sahélienne, mais également en Europe, en particulier en France là où est présente une forte communauté algérienne?». Pour lui, «encourager les forces extrémistes et centrifuges en Algérie, c’est assurément se rendre complice de nouvelles tragédies humaines».

Ainsi, dans le but d’éviter l’embrasement, il estime qu’«il est politiquement insensé d’imaginer un profond changement démocratique sans l’accompagnement de l’institution militaire», ajoutant que «ceux qui s’en prennent aujourd’hui à l’armée n’ont pas pour objectif la construction d’institutions démocratiques, ils veulent nous ramener aux années 1990 et plonger à nouveau le pays dans la violence sanguinaire».

Enfin, l’ex-chef du FFS affirme que «l’Algérie a souffert d’une guerre civile qui a fait des centaines de milliers de morts». «Le peuple algérien, dont les aspirations à la liberté, à l’égalité et au respect inconditionnel des droits collectifs et individuels sont légitimes, exige un changement politique radical, mais un changement progressif et graduel qui préserve la paix civile et ne met pas en cause l’intégrité et la souveraineté nationales», conclut-il.

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