Les soignants réticents à se faire vacciner: irresponsabilité dangereuse ou méfiance légitime?

Le débat sur la vaccination obligatoire des soignants est relancé. Évoquant cette «possibilité», Gabriel Attal semble avoir renforcé la défiance des soignants, entre manque de confiance envers les autorités et inquiétude vis-à-vis des effets secondaires des vaccins. Explications du professeur André Grimaldi, cofondateur du collectif Inter-hôpitaux.
Sputnik
«Ce n’est pas en parlant d’obligation que le gouvernement effacera tous les propos contradictoires qu’il a tenus», tranche d’emblée André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie au CHU Pitié Salpêtrière.

Le cofondateur du collectif Inter-hôpitaux fait référence aux propos tenus dans Le Parisien par le porte-parole du gouvernement. Gabriel Attal a en effet évoqué ce lundi 8 mars la possibilité de rendre obligatoire la vaccination des soignants: «Il y aurait une irresponsabilité à refuser de se faire vacciner quand on est soignant. Est-ce que cela veut dire qu’on la rend immédiatement obligatoire? On fait d’abord le choix de la confiance, mais cela reste une possibilité», prévient-il.

Les soignants réticents à se faire vacciner: irresponsabilité dangereuse ou méfiance légitime?

Selon Santé publique France, seulement un tiers des soignants se serait fait vacciner. Le Président de la République avait déjà évoqué au cours d’un Conseil de Défense l’idée d’une généralisation de la vaccination pour le personnel soignant. Dans la foulée, le ministre de Santé écrivait aux soignants, les «incitant» à relever la manche pour «notre sécurité collective». Ainsi l’idée fait-elle son chemin au plus haut niveau de l’Etat. «Si le taux de vaccination n’est pas suffisant, il faudra se poser cette question, oui», admet le Dr André Grimaldi. Le médecin appelle néanmoins «à comprendre le pourquoi d’une telle réticence.»

Se protéger et protéger ceux que l’on soigne.
Ma lettre aux soignants sur la vaccination. pic.twitter.com/GBlAuv1qRu

Les raisons de la défiance

«Si vous n’êtes pas encore vaccinés, faites-le rapidement», pouvait-on lire dans le courrier envoyé aux soignants le 5 mars par le ministre de la Santé. Olivier Véran évoquait même la veille, lors de sa conférence de presse, la possibilité d’«une saisine du Conseil consultatif national d’éthique qui serait fondé à nous dire s’il faut aller au-delà.» Entendre par là, passer à l’obligation vaccinale. Une mesure qui se justifierait par le gouvernement en raison de la position en première ligne des médecins, infirmiers, sages-femmes et aides-soignants dans la lutte contre l’épidémie.

​André Grimaldi, qui défend la vaccination contre le Covid-19, se livre néanmoins à notre micro à une énumération des couacs commis au plus haut niveau de l’Etat. «Au départ, il a été dit qu’on ignorait si le vaccin diminuait la contagiosité», développe-t-il. Et le gouvernement de s’étonner que les plus jeunes soignants, donc les moins à risque, aient considéré «que le port du masque et le lavage des mains suffisaient». Mais dans les rangs des premiers intéressés, de tels reproches passent mal.

«Le gouvernement a aussi défendu, au tout début, que tous les soignants n’étaient pas prioritaires dans la vaccination. Avant de revenir sur ses propos. Sans parler du vaccin AstraZeneca, qui a été vendu comme inefficace, puis destiné aux soignants. Tout ça est enthousiasmant», ironise André Grimaldi.

Autant de contradictions et d’erreurs de la part du pouvoir exécutif qui auraient fait le lit cette méfiance aujourd’hui répandue dans le milieu hospitalier. Les erreurs, voire les mensonges, au sujet des stocks de masques disponibles et sur leur usage, n’y seraient pas pour rien. Tout comme l’organisation des dépistages et de la vaccination, que notre interlocuteur juge «chaotique».

«Surtout lorsque vous faites passer ces échecs pour des réussites», ajoute André Grimaldi, pour qui «la confiance, cela nécessite aussi de dire lorsqu’on s’est trompé et de ne pas faire les fiers-à-bras.»

Le mal serait pourtant encore plus profond. L’humeur des soignants refléterait une tendance qui traverse toute la société, à en croire le co-auteur de Santé: urgence (Éd. Odile Jacob):

«Les soignants n’échappent pas à la société dans laquelle ils vivent. C’est-à-dire au relativisme ambiant qui nourrit pour beaucoup cette perte de confiance envers les autorités politiques ou bien de l’industrie pharmaceutique, accusées de raconter sans cesse des histoires fausses», déplore André Grimaldi.

Les médias auraient eux aussi leur responsabilité, «en donnant la parole à tout le monde et n’importe qui». «L’anti-système fait l’audimat, c’est bien connu», tacle le médecin à notre micro.

Le vaccin AstraZeneca en question

Est-ce dès lors être «anti-système» que de souligner que le vaccin destiné aux soignants a mauvaise réputation? Le 6 mars, Thierry Amouroux, porte-parole du syndicat national des infirmiers, interrogé par Europe 1, pointait en effet l’inefficacité du vaccin AstraZeneca, administré aux soignants de moins de 65 ans depuis le début du mois de février.

Plusieurs hôpitaux, en particulier de l’Ouest, se sont également plaints de ses effets secondaires (fortes fièvres, maux de tête…). Ceux-ci ont contraint les services hospitaliers à suspendre les vaccinations ou à les rééchelonner en fonction du personnel disponible. Pourtant, ces effets indésirables ne seraient rien d’autre que «des syndromes grippaux typiques des vaccins», «sans commune mesure avec les effets du Covid-19», relativise le Dr André Grimaldi. Selon lui, «AstraZeneca a surtout été mal vendu.»

«Il est tout aussi efficace que les autres vaccins et plusieurs études ont montré qu’il diminuait les hospitalisations et les formes graves autant, si ce n’est plus que ceux à base d’ARN messager, ajoute-t-il. En revanche, il a une efficacité moindre sur le variant sud-africain qui ne touche, heureusement, que certaines régions.»

Une chose est toutefois sûre pour le cofondateur du collectif Inter-hôpitaux: c’est d’un vaccin contre une logique entrepreneuriale destructrice qui sévit en milieu hospitalier depuis une quarantaine d’années dont les soignants auraient le plus besoin.

Ainsi le professeur André Grimaldi dénonce-t-il avec amertume la «dislocation des équipes hospitalières», au nom de la «mobilité, de la polyvalence et d’une logique de flux.» Selon lui, l’hôpital public ferait aujourd’hui les frais d’un «dogme procédurier et managérial» procédant d’une «vision marchande» de la médecine.

«La confiance, vous l’avez auprès des gens avec qui vous travaillez. Or, il n’y a plus d’équipes en France. Les infirmières sont là six mois ou un an et s’en vont ailleurs. Avant, vous demandiez conseil aux médecins de l’équipe, il y avait un échange fécond entre les membres qui dispersait les inquiétudes inutiles», conclut André Grimaldi.
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