France-Algérie: avec le rapport Stora, Macron enterre habilement sa promesse d’excuses

Le Président Abdelmadjid Tebboune n’a pas manqué de commenter le rapport Stora. Ce travail qui doit faciliter les relations bilatérales entre la France et l’Algérie serait un moyen pour Macron de faire oublier ses promesses de campagne sur les excuses au peuple algérien, estime Naoufel Brahimi El Mili, spécialiste des relations franco-algériennes.
Sputnik

Interrogé à propos du rapport sur «les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie», le Président algérien Abdelmadjid Tebboune a lancé que «les Algériens ne renonceront jamais à leur mémoire

Visant pourtant à favoriser «la réconciliation entre les peuples français et algérien», le rapport Stora n’a pas donc tardé à être critiqué de l’autre côté de la Méditerranée. Remis en mains propres à Emmanuel Macron le 20 janvier dernier, il devait énoncer le point de vue français sur l’histoire commune aux deux pays. En parallèle, Abdelmadjid Tebboune avait annoncé avoir nommé le docteur Abdelmadjid Chikhi, directeur général du centre national des archives algériennes, pour connaître le point de vue algérien sur cette question historique. Ce rapport n’a à ce jour pas encore été publié.

Le rapport Stora, un document «purement politique auquel il manque l’essentiel»?

Dans ce qui ressemble à une thérapie de couple pour recoller les morceaux entre Alger et Paris, seul ce dernier a donc pris la parole. En l’absence de point de vue officiel de leurs autorités sur la question, les Algériens commentent et critiquent le document français. Il est perçu comme étant un «rapport franco-français». Un document «purement politique auquel il manque l’essentiel,» estime Naoufel Brahimi El Mili au micro de Sputnik.

L’ancien professeur de Sciences Po Paris précise que «dans ce rapport Stora, il y a des recommandations d’ouverture et d’avenir, mais on n’aura retenu que le manque d’excuse», avant de rappeler que «sans excuse, il n’y a pas de reconnaissance des crimes.»

Dans la presse arabophone algérienne, très virulente à l’égard du rapport Stora, l’absence d’excuse du gouvernement français revient de manière lancinante. La déception algérienne est liée aux attentes qu’avait suscitées le candidat Emmanuel Macron lors de son voyage à Alger, le 15 février 2017. Pour le spécialiste des relations franco-algérienne, ce déplacement avait été accueilli avec «beaucoup d’enthousiasme et d’espoir».

Après les excuses, les réparations financières?

Lors de ce fameux déplacement à Alger, Emmanuel Macron avait créé la polémique en qualifiant la guerre d’Algérie de «crime contre l’humanité» et ajoutant que «ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. ». Le mot était lâché, et Emmanuel Macron venait de mettre le doigt dans l’engrenage de la rhétorique algérienne officielle. Après les excuses, les réparations financières? En tout, c’est ce que semble vouloir une partie de la société algérienne.

Faisant fi des espoirs algériens et fidèle à sa stratégie du «en même temps», le locataire de l’Élysée a fait savoir le 20 janvier qu’il n’y aurait «ni repentance ni excuses». Un changement de paradigme qui surprend, voire indigne, la population algérienne.

«Maintenant qu’il est Président, Emmanuel Macron change son fusil d’épaule. Ce qui m’interpelle: pourquoi Stora offre-t-il une sortie de crise à Macron? Avec ce rapport, il n’est plus question d’excuses, mais de gestes d’apaisement. C’est une habileté politique, c’est son ADN, c’est son kit de survie.»

Guerre d'Algérie: Macron reconnaît que le militant Ali Boumendjel a été «torturé et assassiné» par l'armée française
Le rapport de Benjamin Stora propose en effet de construire à Ambroise une stèle à l’effigie de l’émir Abdelkader [le résistant à la conquête française au XIXe siècle, ndlr ;], des facilités de déplacement avec l’obtention de visas, un accès aux archives françaises pour les chercheurs algériens. Mais comme le précise le journaliste algérien Akram Belkaïd, «il est évident qu’il y a un fantasme absolu en Algérie à propos des archives. Certains pensent encore que la France détient des secrets inavouables.

Parmi ces derniers, suivant en cela l’une des recommandations du rapport Stora, Emmanuel Macron a reconnu le 2 mars que l’avocat et militant indépendantiste Ali Boumendjel avait été torturé et assassiné en 1957. Mais Naoufel Brahimi El Mili n’en démord pas, les excuses sont la seule voie vers un apaisement des relations bilatérales entre Paris et Alger.

«Dans son rapport, Stora fait un parallèle entre le Japon avec la Chine et la Corée et la France avec l’Algérie pour justifier que les excuses ne servent à rien. Or, cet exemple ne peut pas être transposable, car 10% de la population en France est d’origine algérienne.»

Quand on lui pose la question de savoir comment il caractériserait les relations franco-algériennes, l’auteur des deux tomes de France Algérie: 50 ans d’histoires secrètes (Éd. Fayard), répond par cette formule un tantinet provocatrice: «l’Algérie s’est libérée de la France, mais la France ne s’est pas libérée de l’Algérie.»

Les Algériens obtiendront ce qu’ils demandent

Est-ce aussi simple? La rhétorique des officiels algériens surfe toujours sur la période révolutionnaire et la guerre d’indépendance contre le colonisateur français. Les dirigeants algériens utilisent cette période comme un outil, un prétexte de légitimation de leur pouvoir. Et pourquoi insistent-ils tant à recevoir des excuses de la France si n’est pas un sujet de préoccupation en interne?

Néanmoins, on ne peut pas nier que l’Algérie soit également un sujet de campagne électorale récurrent en France. Naoufel Brahimi El Mili rappelle à ce titre le nombre important de déplacements d’officiels français en Algérie:

«Bien évidemment, quand Macron parlait de crimes contre l’humanité, c’était dans une démarche électorale. Et ce n’est pas le premier: François Hollande est parti en Algérie, Juppé, Montebourg, la liste est longue. C’est évident qu’il l’a fait dans une démarche électoraliste, mais une fois Président, a-t-il besoin d’une caution universitaire pour oublier un de ses engagements?»

À droite comme à gauche, on ne peut ignorer le sujet de l’Algérie. Nombreux sont les candidats à essayer de glaner le vote de la communauté algérienne et cela passe généralement par l’expression d’un sentiment de culpabilité vis-à-vis du peuple algérien. Ces postures politiciennes ne datent pas d’hier. Chirac avait signé le traité d’amitié franco-algérien en 2003, Nicolas Sarkozy avait tenu un discours à Constantine dans lequel il avait vanté la résistance d’Abdelkader, François Hollande avait reconnu le massacre d’Algériens du 17 octobre 1961 à Paris. Finalement, à force de «petits gestes», les Algériens finiront bien par obtenir ce qu’ils demandent.

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