La Coupe du monde de football au Qatar en 2022 n’en finit pas de faire polémique. Après les pots-de-vin à Platini et à Sepp Blatter pour l’obtention de l’évènement, les questions écologiques avec les stades climatisés en plein désert, ce sont aujourd’hui les conditions plus que déplorables des travailleurs étrangers qui sont mis en avant dans une enquête. The Guardian avance que plus de 6.500 travailleurs étrangers seraient morts sur les chantiers depuis maintenant 10 ans.
Depuis que le petit émirat a obtenu l’organisation de la compétition sportive, il a massivement recruté de la main-d’œuvre, principalement d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka, pour mener à bien de gigantesques travaux. L’article précise qu’en moyenne, 12 travailleurs étrangers décèdent chaque semaine. Or, selon le magazine britannique, ce chiffre ne comptabilise pas les travailleurs migrants provenant des Philippines et du Kenya.
Cette enquête n’a guère surpris Emmanuel Razavi, reporter et auteur du livre Qatar, vérités interdites: un émirat au bord de l’implosion (Éd. l’Artilleur).
«C’est une réalité que tout le monde sait, ce rapport vient confirmer les dires de nombreuses ONG qui dénoncent les morts sur les chantiers depuis déjà 2013.»
En effet, plusieurs associations humanitaires, telles qu’Amnesty International, Human Right Watch ou encore Migrant-Rights, ont déjà dénoncé les conditions de travail lamentables au Qatar. Ayant travaillé sur place, Emmanuel Razavi confirme ces analyses et pointe du doigt «la véritable misère» de ces travailleurs étrangers.
Deux millions de travailleurs vivent «dans des conditions déplorables»
Derrière les apparences «bling bling» du petit émirat, il ne fait pas bon vivre sur les chantiers dans cette zone semi-désertique. Le Qatar a vu les choses en grand: outil de soft power, la Coupe du monde 2022 doit être la vitrine de sa réussite. De fait, le pays ne lésine pas sur les moyens pour assurer le succès de l’évènement. Outre la construction des sept stades prévus pour la compétition, l’émirat s’est lancé dans une course contre la montre pour la construction d’hôtels de luxe, de routes, d’infrastructures touristiques, d’un nouvel aéroport. Pour ce projet pharaonique, le Qatar peut compter sur plus de deux millions de travailleurs migrants. Témoin direct, Emmanuel Razavi nous raconte qu’à partir de mai, les températures peuvent facilement atteindre 50 degrés.
«Les ouvriers travaillent 12h par jour, il y a un roulement sur 24h. Ils sont très mal payés et vivent dans des conditions déplorables. Les baraquements qui les accueillent sont insalubres. S’ils tombent malades, ils ne peuvent même pas se soigner.»
C’est la face cachée de l’émirat. Dans des baraquements à la périphérie des villes s’entassent des travailleurs étrangers, venus là dans l’espoir de mieux gagner leur vie que dans leur pays natal. La désillusion est au bout du chemin, dénonce le reporter.
«Les conditions au Qatar, c’est un asservissement instrumentalisé», explique-t-il avant d’ajouter qu’«il y a quasi systématiquement la confiscation des passeports pour les travailleurs sur les chantiers.»
En effet, les travailleurs ne peuvent pas quitter le pays sans l’aval de l’employeur. Or, cet employeur, nous explique Emmanuel Razavi, fait souvent partie de la famille royale.
L’occident aphone: «on ne mord pas la main qui nous nourrit»
Néanmoins, le Qatar tente d’arrondir les angles, estime le fondateur du site de reportage Fild. Doha a fait des efforts depuis 10 ans, relève Emmanuel Razavi, qui note tout de même les «effets d’annonce, de poudre aux yeux pour la presse internationale.»
«Ils annoncent à travers leurs relais médiatiques qu’ils vont faire des efforts, cela va être repris dans tous les médias et après, finalement rien ne change. Ce sont de bons communicants», tacle-t-il.
Le Qatar dispose en effet d’un réseau tentaculaire. À travers Al-Jazeera et ses relais locaux, l’émirat entretient l’image d’un pays moderne, ouvert aux nouvelles technologies, souvent opposé à la fermeté et la rigidité de l’Arabie saoudite. En 2017, la chaîne ouvre une antenne sur les réseaux sociaux. Baptisée AJ+, elle vise essentiellement la jeunesse avec des thématiques très progressistes.
Derrière le «bling-bling», un quasi-esclavage
Le soft power qatari investit également dans le sport, avec l’achat de plusieurs clubs de foot européens, la culture, l’architecture. Sa réussite éclipse même celle de ses rivaux. L’Arabie saoudite et Les Émirats arabes unis adoptent peu à peu la même posture d’ouverture. «Il y a une sorte de fantasme sur le Qatar, et c’est la force de leurs réseaux», regrette Emmanuel Razavi. Quand on lui demande pourquoi l’Occident ne monte pas au créneau dans cette affaire, sa réponse est sans équivoque:
«On ne mord pas la main qui nous nourrit. Il y a une réalité, c’est la diplomatie des contrats. Aujourd’hui, le Qatar achète de la coopération, il a des agents d’influences qui font du lobbying partout en Europe. Il a des liens économiques qu’on ne peut pas nier, y compris avec la France.»
En effet, la France entretient des relations particulières avec le Qatar. La relation s’est fortifiée sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Pour mémoire, l’ancien Président de la République avait milité pour que le Paris Saint-Germain soit financé par l’émir du Qatar. On se souvient également de la vente des 24 Rafales par la France en 2015.
Même si l’enquête du Guardian est reprise dans la plupart des médias occidentaux, cela ne changera rien, souligne le reporter. «Ce genre de rapport ne les inquiète pas, ils s’en foutent, demain ils auront oublié», affirme Emmanuel Razavi avec amertume. Notre interlocuteur cache difficilement sa déception sur le comportement de certaines institutions internationales:
«C’est la Coupe du monde de la honte, pour le Qatar, pour la FIFA, mais également pour nos démocraties, si promptes à critiquer le moindre écart en termes de droits de l’homme», conclut-il.