La campagne de la vaccination qui vient de débuter au Liban connaît déjà son premier scandale. Le Président de la République Michel Aoun, 86 ans, ainsi que plusieurs députés sont mis au banc des accusés pour s’être fait vacciner avant tout le monde. Pourtant, selon les priorités en vigueur dans le pays, le personnel hospitalier ainsi que les seniors âgés de plus de 75 ans devaient être les premiers à recevoir le sérum.
Saroj Kumar Jha, le directeur régional de la Banque mondiale, a affirmé sur son compte que l’affaire ne correspondait pas au plan national de vaccination convenu avec la Banque mondiale. Et de fait, celle-ci pourrait aller jusqu’à suspendre le financement des vaccins.
Sophie Akl-Chedid, correspondante de presse libanaise pour le quotidien Présent, affirme cependant que tous les parlementaires en question avaient bien l’âge requis pour se faire traiter en priorité. Or, les informations de L'Orient Le Jour viennent contredire les dires de la journaliste. Le média libanais signale que seuls 6 des 16 parlementaires vaccinés avaient plus de 75 ans. «Si l’on doit demander la tête de quelqu’un, que l’on demande celle du ministère de la Santé», précise-t-elle au micro de Sputnik. Et d’ajouter qu’«il y a à peine 30.000 doses, les Libanais vont devoir attendre avant de se faire vacciner».
«Tous les députés étaient bien inscrits sur la liste du ministère de la Santé. Ils ont été contactés par ce même ministère. Ils ne sont pas en faute.»
Après avoir pris connaissance de la nouvelle de la vaccination de politiciens, le #nowasta (pas de passe-droit) a été lancé sur Twitter. Une nouvelle polémique qui vient accentuer le fossé entre les élites libanaises et le peuple.
Néanmoins, cette affaire chercherait surtout à camoufler un autre scandale, selon Sophie Akl-Chedid. Elle estime qu’elle ne vise rien moins qu’à créer «un écran de fumée et qu’elle a été montée en épingle pour faire oublier le vrai scandale de l’enquête sur le port de Beyrouth», avance-t-elle.
Loin d’elle l’idée de défendre «une classe politique corrompue», la journaliste souhaite donc remettre cette polémique dans un contexte libanais bien particulier: celui de la récusation du juge chargé de l’instruction sur l’explosion du port de Beyrouth.
«Une justice soumise au dictat des partis traditionnels»
En effet, la Cour de cassation libanaise a récusé jeudi dernier le juge d’instruction responsable de l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. Le Haut Conseil judiciaire a accepté la proposition de la ministre de la Justice démissionnaire Mary-Claude Najm de nommer Tareq Bitar nouveau juge. Le dossier repart donc de zéro.
«C’est de la poudre aux yeux, les Libanais ne doivent pas oublier l’assassinat de Lokman Slim, l’assassinat du photographe Joe Bejjani, le changement inopiné de juge pour des raisons fallacieuses», martèle Sophie Akl-Chedid.
Plusieurs parlementaires ont en effet reproché à l’ancien juge de ne pas être objectif dans cette enquête, invoquant que l’appartement de sa femme aurait été détruit pendant l’explosion du port. La journaliste rappelle toutefois que « 60% de la ville ayant été touchée, tous les juges seront donc considérés comme partie». Malgré la nomination du nouveau fonctionnaire par le Conseil supérieur de la magistrature, les familles des victimes n’ont plus confiance en les institutions libanaises, reproche-t-elle.
«Les familles des victimes, les Forces libanaises et la formation druze de Walil Jumblatt –le Parti progressiste socialiste– veulent internationaliser l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth. Cette initiative est également soutenue par le Patriarche maronite.»
Sophie Akl-Chedid pointe du doigt «une justice soumise au dictat des partis traditionnels». Elle critique le rôle «omnipotent» du Hezbollah qui exerce une pression dans les affaires du pays. Or, si l’enquête doit s’internationaliser, pas si sûr qu’elle devienne indépendante.