85 par jour. C’est le nombre de faits de «violences à personnes dépositaires de l’autorité publique» enregistrés à travers le pays, et pour la seule police nationale. Soit une multiplication par 2,3 en l’espace de vingt ans, selon les services statistiques du ministère de l’Intérieur.
«Cette augmentation révèle une défaillance de l’autorité de l’État: plus le temps passe et plus les choses s’aggravent. Les policiers deviennent une forme de défouloir ou de bouc émissaire dans cette crise politique majeure, qui plus est aggravée par la crise de Covid-19», dénonce au micro de Sputnik Rocco Contento, porte-parole du syndicat Unité SGP Police FO pour l’Île-de-France.
Rien que pour le mois de janvier dernier, 2.953 violences contre les policiers ont été recensées sur le territoire national. Outre cette augmentation statistique des faits de violence, Rocco Contento s’inquiète surtout du basculement dans la nature des agressions commises contre les policiers, lesquelles deviennent selon lui de plus en plus «gratuites» et «brutales».
Début février, une trentaine d’individus ont tiré au mortier sur des policiers à Poissy. Perpétrée aux cris de «Tuez-les!», l’attaque illustre ce basculement. La «radicalisation de la violence envers les forces de l’ordre» ne fait plus de doute pour le syndicaliste. «Il y a une volonté délibérée de s’en prendre aux policiers, voire parfois de les tuer», ajoute-t-il.
Réponse pénale insuffisante
Pis, ces chiffres pourraient être sous-évalués, estime Rocco Contento. «De nombreux policiers ne déposent pas plainte quand ils sont victimes d’agression: la procédure est laborieuse et les agents sont bien souvent blasés. À quoi bon déposer plainte pour un outrage si cela ne suit pas derrière au niveau pénal? Il y a une forme de lassitude et de fatalisme chez les policiers», observe-t-il.
Pour les syndicats, la question de la réponse pénale constitue justement l’une des priorités du «Beauvau de la sécurité» lancé le 1er février dernier par le ministère de l’Intérieur en concertation avec les principaux syndicats policiers et plusieurs personnalités de la société civile. Unité SGP Police FO, majoritaire dans les rangs de la Police nationale, exige des «réponses pénales immédiates» pour les individus qui s’en prennent aux forces de l’ordre.
En théorie, les sanctions encourues par les casseurs de flics s’échelonnent de trois ans de prison et 45.000 euros d’amende à cinq ans de prison et 75.000 euros d’amende en cas d’embuscade. Mais la justice aurait la main plus légère si l’on en croit Rocco Contento:
«Les délinquants qui s’en prennent aux policiers sont parfois convoqués six mois après les faits, voire jamais dans certains cas. Les réponses pénales immédiates ne sont pas toujours au rendez-vous et plusieurs parquets font parfois preuve de complaisance. Je ne m’explique pas que quelqu’un qui agresse physiquement un policier puisse écoper d’un simple rappel à la loi au prétexte qu’il s’agit de sa première infraction!», s’étrangle le porte-parole d’Unité SGP Police FO.
À la demande des syndicats, Gérald Darmanin a d’ores et déjà annoncé la création d’un Observatoire national de la réponse pénale le 1er juillet prochain. L’instance assurera un suivi de la prise en charge judiciaire des prévenus ainsi qu’un retour sur leur condamnation éventuelle.
«La police est le dernier rempart républicain dans les quartiers sensibles»
Comment déterminer le profil des assaillants? En 2017, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, un organisme aujourd’hui absorbé par le service de statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), estimait que les individus reconnus coupables de faits de «violences à personnes dépositaires de l’autorité publique» étaient à 90% des hommes, dont 60% sont âgés de 25 ans et moins, et de nationalité française pour 86% d’entre eux. À l’époque, selon l’organisme, près de la moitié des actes se concentrait dans les centres urbains de plus de 50.000 habitants.
Rocco Contento déplore «une forme d’impunité pour une frange de la population»:
«La police est le dernier rempart républicain qui intervient dans certains quartiers sensibles, comme les quartiers de reconquête républicaine (QRR). Certains délinquants n’admettent pas que les policiers puissent entrer dans leurs quartiers et dans les territoires qu’ils contrôlent par le trafic de stupéfiants», martèle le syndicaliste.
Plus préoccupant encore, cette flambée des agressions ne concerne pas seulement les policiers, mais aussi l’ensemble des dépositaires de l’autorité publique.
Caillassés parce que «représentants de l’État»
En dix ans, le nombre d’agressions contre les sapeurs-pompiers a bondi de 213%. En août dernier, 233 maires ou adjoints ont été agressés dans l’Hexagone, soit 14% de plus qu’en 2019 à la même période de l’année.
«Cette remise en cause de l’autorité de l’État touche plus largement et de manière inédite les enseignants, les élus et les pompiers, qui pourtant ne procèdent à aucun contrôle! Ces derniers se font pourtant régulièrement caillasser, car ce sont des représentants de l’État», s’alarme Rocco Contento.
Alors que la question des violences policières est également à l’ordre du jour du «Beauvau de la sécurité», le porte-parole d’Unité SGP Police FO estime que la réponse pénale doit pouvoir s’établir dans les deux sens. «Lorsqu’un policier fait une connerie, c’est également une circonstance aggravante, car c’est un agent de l’État», rappelle notre interlocuteur. Tout comme «le fait de s’attaquer à un policier ou à un gendarme». Notre interlocuteur préconise une solution d’une simplicité biblique: «Il faut tout simplement appliquer le Code de procédure pénale.»
Selon le baromètre annuel établi par OpinionWay, rendu public ce lundi 22 février, la police est jugée «honnête», «compétente et efficace» par 71% des sondés, en dépit de moyens insuffisants selon 83% d’entre eux. Pour 76% des personnes interrogées, elle n’est pas assez «reconnue pour son dévouement». Pour Rocco Contento, cela ne fait aucun doute:
«La police tient les institutions et la République à bout de bras, comme on l’a vu dans certains épisodes des Gilets jaunes particulièrement violents où le gouvernement a tremblé.»
En revanche, 55% des Français estiment que la police ne sanctionne pas ses fonctionnaires «lorsqu’ils agissent de manière fautive», et 54% considèrent que les agents «n’usent pas de la force à bon escient en fonction de la situation». En juin dernier, Frédéric Veaux, directeur général de la Police nationale, confiait pourtant au Parisien que «plus de 50% des sanctions prises dans les administrations concernent la police». Selon le Ministère de l’Action et des Comptes publics, en 2018, 3.365 sanctions ont été prononcées par les ministères à l’encontre des fonctionnaires d’État. Le rapport annuel d’activité de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) de la même année précise que 2.030 de ces mesures concernent la Police nationale. Autrement dit, six sanctions de fonctionnaires sur dix en France concernent uniquement la police, alors qu'ils ne représentent que 6% du contingent de la fonction publique du pays avec 150.000 employés.