«Au sein de l’Administration américaine, beaucoup sont motivés par une haine anti-iranienne, mais d’autres font de la Chine le principal ennemi. Les États-Unis mènent donc une guerre sur deux fronts avec les sanctions», affirme Amélie Myriam Chelly.
L’auteur de l’ouvrage L’Iran, autopsie du chiisme politique (Éd. du Cerf) explique à Sputnik comment les sanctions qui frappent Téhéran ne peuvent manquer de toucher aussi Pékin, son premier partenaire économique.
«Les sanctions visent bien évidemment le peuple iranien, mais elles s’inscrivent dans une échelle plus large, à savoir la guerre économique contre la Chine», avance Amélie Myriam Chelly.
C’est la théorie de la «Silver bullet» préconisée par Obama à l’occasion du conflit en Syrie: les sanctions étaient alors vues comme une forme de «solution miracle», permettant de contraindre l’ennemi à négocier, voire à s’en débarrasser sans avoir recours à la force militaire. Dans le cas iranien, cette «balle d’argent» des sanctions servirait donc à frapper deux ennemis d’un coup: Téhéran –poussé à revenir à la table des négociations– et Pékin –gêné dans ses approvisionnements en hydrocarbures iraniens–.
Sanctions US: d’une pierre deux coups
Ce n’est donc pas seulement l’enrichissement d’uranium iranien à des fins militaires qui est dans le collimateur de Washington, même si l’on apprenait le 9 février dernier de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) que l’Iran avait démarré la production d’uranium métal, nouvelle étape vers la fabrication d’armes nucléaires.
La Chine est en effet devenue le principal partenaire économique de l’Iran, ce qui contrarie fortement Washington. En juillet 2020, les deux pays ont signé une coopération stratégique dans le domaine commercial et militaire pour une durée de 25 ans, et ce, en contrepartie d’un gaz et d’un pétrole décotés, vendus 30% moins cher que sur le marché. Pékin et Téhéran, malgré leurs divergences politiques (l’un est un régime communiste, l’autre une théocratie musulmane), veulent lutter contre l’unilatéralisme américain.
Entente sino-iranienne: le grain de sable américain
Ainsi la Chine se sert-elle de l’Iran comme levier d’influence dans la région, et l’Iran se sert-il de la Chine pour pallier ses difficultés économiques liées aux sanctions. Or, comme nous le rappelle Amélie Myriam Chelly, l’échec de l’accord sur le nucléaire a favorisé et conforté ce rapprochement.
«C’est une collaboration à tous les niveaux: diplomatique, académique, elle est totale. C’est une réorientation politique. Au début de l’accord, Rohani, le Président iranien, espérait une ouverture vers l’Europe.»
Espoir déçu qui a poussé l’Iran dans les bras de la Chine. La chercheuse précise que cette collaboration permet tant bien que mal à Téhéran de contourner les sanctions américaines. Pékin s’est engagé en juillet 2020 à investir 400 milliards de dollars sur les 25 prochaines années dans la République islamique. Le pays des mollahs deviendrait ainsi un passage stratégique pour le projet de route de la soie entre le Xinjiang et l’Asie Centrale, avant de transiter vers la Turquie et le marché européen.
Une bonne entente grippée par l’intervention américaine:
«La collaboration sino-iranienne est ralentie par le jeu des sanctions, les transactions sont bloquées, le matériel peine à arriver», souligne l’auteur de «L’Iran, autopsie du chiisme politique».
Voyant d’un mauvais œil les ambitions de Pékin, les sanctions américaines qui frappent l’Iran sont aussi là pour freiner «l’expansionnisme chinois», précise Amélie Myriam Chelly. En Iran, seul le port de Chabahar est exempté de sanctions américaines, nous précise-t-elle, et ce pour des raisons très précises:
«La reconstruction de l’Afghanistan est un objectif pour Washington. Or, cela passe obligatoirement par l’Iran et son port de Chabahar. Il reçoit des marchandises pour les acheminer vers Kaboul. Le réel but de cette manœuvre est d’empêcher la Chine de mettre la main sur l’Afghanistan.»
Une preuve supplémentaire de l’extrême souplesse américaine.