Venezuela: «On assassine la population pour changer ses dirigeants»

Le 12 février, une experte de l’ONU a dénoncé les sanctions unilatérales américaines et européennes, causes directes de la crise économique et sociale au Venezuela. Le rapporteur spécial a même demandé la suppression de ces mesures. Interrogé par Sputnik, le journaliste Maurice Lemoine dénonce le silence des médias sur ce sujet.
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La vérité est parfois difficile à entendre… Les sanctions appliquées par les États-Unis et l’Union européenne ont «un effet dévastateur» au Venezuela. Ce n’est pas le président Nicolas Maduro qui accuse ainsi les Occidentaux. C’est le rapporteur spécial de l’ONU sur l’impact des sanctions sur les droits de l’homme, Mme Alena Douhan. L’universitaire biélorusse a déclaré ce 12 février que les mesures imposées à Caracas «affectent considérablement les droits du peuple vénézuélien et doivent être levées». À l’issue d’une visite de douze jours sur place, la conclusion à laquelle elle est parvenue jette un pavé dans la mare. Mises en place pour dénoncer les violations des droits de l’homme et renverser explicitement Maduro, ces dispositions coercitives n’ont réussi qu’à aggraver la situation du pays sur les plans humanitaire, économique et social. Résultat, le Venezuela est en crise. L’inflation a frisé les 3.000% en 2020. Cinq millions de personnes ont pris la route de l’exil.

Des conséquences dramatiques pour tous les Vénézuéliens

C’est Barack Obama qui a signé en 2015 un premier décret classant le Venezuela comme une menace à la sécurité nationale, accusant le gouvernement Maduro de violations des droits de l’homme. Alors que Bruxelles adoptait également en 2017 des mesures de rétorsion, Donald Trump imposait un embargo en 2019 contre le pétrole vénézuélien, principale ressource du pays. C’est donc l’ensemble des secteurs économiques qui ont été touchés, à commencer par l’absence de «machines indispensables et de pièces de rechange», les pénuries régulières «en eau, en électricité, en gaz, mais également en aliments et en médicaments». Le départ des «travailleurs qualifiés» en quête de «meilleures opportunités économiques» notamment «le personnel médical, les ingénieurs, les juges et les policiers» a un «impact énorme» sur les droits de l’homme. Le document publié le 12 février a d’ores et déjà été critiqué par Juan Guaido. Un représentant du président autoproclamé du pays regrette que Mme Alena Douhan «se prête à la propagande et au récit qui exonère le régime de sa responsabilité dans l’urgence humanitaire et la violation des droits de l’homme».

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Le rapporteur spécial nuance ses observations. Mme Alena Douhan rappelle que le déclin de l’économie avait débuté «en 2014 avec la chute des prix du pétrole», selon Reuters. Elle ne nie pas que d’autres facteurs ont pesé sur la situation du pays: «la mauvaise gestion, la corruption». «Les sanctions ont exacerbé les calamités» a pourtant estimé le haut fonctionnaire international, dénonçant des conséquences dramatiques pour la population vénézuélienne tout entière. Surtout pour «les femmes, les enfants, le personnel médical, les personnes handicapées ou atteintes de maladies mortelles ou chroniques ainsi que les peuples autochtones». L’impact est tragique en ce qui concerne l’extrême pauvreté. Mme Alena Douhan ajoute que ces répercussions sont multipliées par «l’extraterritorialité» du droit américain qui permet de frapper indistinctement «les secteurs publics et privés, les citoyens vénézuéliens, les organisations non gouvernementales, les ressortissants de pays tiers et les entreprises». Et pour ce qui est de l’humanitaire, les dérogations sont «longues, coûteuses et incertaines».

«La situation au Venezuela est due aux conséquences catastrophiques des sanctions des États-Unis, de l’Union européenne et d’autres pays de la région. C’est sans ambiguïté. Évidemment avec des incidences sur la santé, sur l’achat des vaccins, du matériel médical», accuse Maurice Lemoine, spécialiste de l’Amérique latine et ancien rédacteur en chef du «Monde diplomatique».

Le Venezuela est soutenu tant bien que mal par des pays alliés. La Russie a livré le 14 février une première cargaison de Spoutnik V. L’Iran dépêche des pétroliers, ce qui irrite la Maison-Blanche, qui tient à «mettre le Venezuela et l’économie vénézuélienne à genoux», estime Lemoine.

Le deux poids, deux mesures de la couverture médiatique

La déstabilisation économique et sociale du pays est censée provoquer un changement de régime. Il s’agirait ainsi du «prix à payer pour que Maduro s’en aille». «Si on prive un État de ses ressources, il s’effondre», résume notre interlocuteur. Il recourt à une métaphore: «C’est couler le navire pour tuer le capitaine.» La reconnaissance par Washington de Juan Guaido comme président par intérim allait dans ce sens.

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Le spécialiste de l’Amérique latine compare alors la situation vénézuélienne au blocus américain dirigé contre l’Iran: «On assassine la population pour changer ses dirigeants.» Mais Maduro reste populaire dans le pays. En témoignent les dernières législatives, en décembre 2020. Le scrutin a permis à la coalition le soutenant de reprendre le contrôle du Parlement. Le Grand pôle patriotique a obtenu 67,7 % des 5,2 millions de suffrages exprimés.

Mais l’impact du rapport des Nations unies est «nul, dans la mesure où ça n’intéresse pas les médias». Le journaliste indépendant déplore «le silence absolu» de la totalité de la presse française:

«Lorsqu’un rapport du haut-commissaire des Nations unies Michelle Bachelet met en cause le Venezuela pour des violations des droits de l’homme, l’ensemble de la presse reprend l’information. Lorsque des rapporteurs spéciaux publient un document expliquant pourquoi une crise profonde frappe le Venezuela, c’est le silence.»

L’ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique évoque ainsi un premier «rapport dévastateur» publié en 2018 par Alfred de Zayas, expert nommé par le haut conseil des droits de l'homme de l'ONU. Le texte mettait en cause les sanctions et concluait à une guerre économique menée contre le Venezuela. Il avait toutefois été «fortement critiqué» quand il n’était pas «passé sous silence». Ce qui va «d’ailleurs arriver au rapporteur actuel, car Mme Alena Douhan est biélorusse, ce qui va aggraver son cas, évidemment», ironise Maurice Lemoine.

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