«Si nous ne faisons rien, il n’y aura plus de forêts au Cameroun dans 15 ans»

Le Cameroun perd environ 100.000 hectares de forêt chaque année. Alors que le débat sur la protection de la biodiversité est toujours d’actualité, l’ambassadeur de France alerte sur le rythme de la déforestation dans le pays. Ceci dans un contexte où la ressource forestière s'amenuise chaque jour à cause de la surexploitation.
Sputnik

Comment faire reculer la déforestation au Cameroun et protéger sa biodiversité? Le sujet fait toujours l’objet de multiples réflexions. Début février dernier, à l’institut français de Yaoundé, l’Association jeunesse verte du Cameroun (AJVC), en collaboration avec l’ambassade de France au Cameroun, a organisé une conférence intitulée «Cop chez nous 2021: Route de la société civile vers la Cop 15 (biodiversité) et Cop 21 (climat)». Objectif? Sensibiliser les organisations de la société civile qui œuvrent et militent en faveur de la biodiversité.

Au cours de la cérémonie d’ouverture, Christophe Guilhou, ambassadeur de France au Cameroun, prévenait qu’«au rythme actuel de déforestation, dans 15 ans, il n’y aura plus de forêt au Cameroun», rapporte le site d’information Newsducamer. Un point de vue partagé par l’AJVC qui entend fédérer les acteurs de la lutte contre la déforestation dans le pays afin de passer «du plaidoyer à l’action».

«Il faut réagir, il faut arrêter ce mouvement de déforestation!», a clamé le diplomate. 

Fin janvier dernier, le Fonds mondial pour la nature (WWF) a organisé à Yaoundé un atelier d’évaluation et de prévalidation nationale de la biodiversité et des services écosystémiques (BES). Selon le rapport du processus d’évaluation national de la BES, rendu public lors de ces travaux, le Cameroun perdrait en moyenne 100.000 hectares de forêt par an. 

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Le taux de déforestation annuel serait de 0,14%, avec des superficies forestières qui sont passées de 22,5 millions d’hectares en 1975 à 19,5 millions en 2005.

La nécessité de la sensibilisation

Cette année, le monde s’apprête à vivre des événements internationaux sur les questions environnementales, notamment la Cop 15 sur la biodiversité et la Cop 21 sur le climat. La rencontre de l’AJVC à Yaoundé visait donc à donner des outils aux acteurs la société civile pour s’y préparer.

«Il est important de les mobiliser pour faire face aux enjeux des négociations et initiatives qui vont être prises dans ce sens et voir comment la conservation de la biodiversité peut être plus efficace à travers le monde», a déclaré Christophe Guilhou.

Le diplomate français a par ailleurs souligné l'importance de la société dans la lutte contre la déforestation.

Samuel Nguiffo est le secrétaire général du centre pour l’environnement et le développement (CED), un organisme indépendant qui s’intéresse à la gestion forestière. Selon lui, la ressource forestière s'amenuise chaque jour un peu plus à cause de plusieurs facteurs: «On peut citer: l’exploitation forestière, la création des agro-industries, la construction de grandes infrastructures…»

«Par ailleurs, l’État n’a pas mis en place de dispositif de coordination interministériel pour assurer la protection des forêts dans les processus d’attribution des terres pour l’agro-industrie, des permis miniers ou pour le choix des sites pour les travaux d’infrastructure. Il est important d’arriver à la mise en place d’un tel mécanisme», explique-t-il au micro de Sputnik.

Mais cela ne sera pas suffisant: il faut être «plus rigoureux dans le suivi de l’exploitation forestière illégale et mettre en place des mesures dissuasives», poursuit-il.

Menace sur la biodiversité?

Si certains attribuent la responsabilité de cette déforestation à l’agriculture par les communautés villageoises, pour Samuel Nguiffo, ce sont plutôt «les pistes ouvertes par les compagnies d’exploitation forestière qui permettent l’accès des braconniers et exploitants illégaux du bois dans la forêt et accélèrent sa destruction». Une activité aux conséquences néfastes sur la biodiversité. 

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Selon les chiffres officiels au Cameroun, environ 10% des espèces végétales sont menacées d’extinction et 50% d’entre elles, qui se situent dans les points chauds des écosystèmes montagneux et forestiers, sont en voie de disparition. Des données alarmantes, souligne Didier Yimkoua, militant écologiste.

«Bien des populations vivent, grâce aux services écologiques, des bénéfices qu'offrent les écosystèmes forestiers. Leur disparition entraînerait par exemple l'extinction des Pygmées [population vivant de la chasse et de la cueillette dans les forêts équatoriales en Afrique, ndlr]. La disparition des espaces de vie des animaux expose aussi l’homme aux zoonoses. La survie de l'humanité dépend de celle des forêts», conclut-il.

Au-delà de la menace environnementale, la déforestation met également en lumière le fléau de l’exploitation illégale des ressources forestières. Les infractions à la réglementation sur l'exploitation de la forêt demeurent nombreuses, qu'il s'agisse de coupes sauvages, de mines d'extraction non déclarées ou non réhabilitées. Une exploitation illégale qui est non seulement dommageable à la nature, mais qui fait perdre d’importantes mannes financières au Cameroun.

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Selon un récent rapport de l’Agence nationale de l’investigation financière (ANIF), l’exploitation illégale des ressources forestières et fauniques fait perdre 33 milliards de francs CFA (60 millions de dollars) chaque année à l’État. Pour Samuel Nguiffo, lutter contre ce fléau revient d’abord à réformer la loi.

«Il est urgent de réformer ce système. Trois mesures doivent être prises: mettre en place un mécanisme qui implique le juge dans tous les dossiers relatifs à l’exploitation illégale du bois, imposer une peine de prison pour les exécutants et les donneurs d’ordres, infliger des sanctions financières dissuasives», propose l’expert de la gestion forestière.  

Le Cameroun possède l’un des massifs forestiers les plus importants dans le bassin du Congo et sa forêt couvre environ 46% de son territoire national avec 22 % classés en aires protégées. Malgré les effets de la déforestation, le pays est encore quatrième sur le plan de la diversité floristique et le cinquième en diversité faunique en Afrique, avec 92% des écosystèmes du continent.

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