Des Canadiens privés de soleil, c’est des Mexicains privés d’emploi

Fin janvier dernier, Ottawa a suspendu pour trois mois les vols à destination du Mexique et des Caraïbes. Selon Francisco Madrid, expert du marché touristique à l’université Anahuac de Mexico, le secteur mexicain du tourisme devrait songer à se tourner vers le marché interne pour tenter de compenser des pertes catastrophiques. Entrevue.
Sputnik

C’est une décision que devait fortement redouter le gouvernement mexicain. Même si moins de 2% des cas de Covid-19 dans son pays sont attribués au retour des voyageurs, Justin Trudeau a suspendu les vols en direction du Mexique et des Caraïbes.

«Même un cas, c'est un cas de trop», s’est justifié le Premier ministre canadien en annonçant sa décision fin janvier dernier.

Depuis plusieurs semaines, des partis d’opposition et de nombreux éditorialistes pressaient le chef du gouvernement de mieux encadrer les voyageurs revenant des «destinations soleil». Voire, si possible, d’empêcher les gens de s’y rendre.

Un milliard de dollars de pertes

Expert de l’industrie touristique mexicaine, Francisco Madrid évoque en entrevue un véritable «choc». Pour l’économie mexicaine en général, il évalue à plus d’un milliard de dollars les pertes occasionnées par la suspension des vols entre le pays de l’érable et le sien. M. Madrid a travaillé vingt-trois ans pour le secrétariat mexicain du Tourisme –l’équivalent d’un ministère du Tourisme–, ayant occupé divers postes tels que celui de sous-secrétaire à la planification et de sous-secrétaire aux opérations.

«La décision est loin d’être réjouissante, car le marché canadien est le second en importance après le marché américain. […] C’est une décision prise pas un État souverain et nous la comprenons, mais nous la trouvons extrême. Les entreprises affronteront d’importants problèmes financiers et de nombreuses familles vont se retrouver dans une situation précaire», observe l’universitaire à notre micro.

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Selon les données transmises à Sputnik par le Centre de recherche et de compétitivité touristique de l’université Anahuac, à Mexico, l’arrivée de touristes canadiens avait déjà connu une baisse de 58,7% en 2020, par rapport à 2019. Selon les projections de cette instance dirigée par Francisco Madrid, la baisse d’achalandage due aux touristes canadiens devrait même atteindre 95% durant le premier trimestre de 2021.

Francisco Madrid ne s’explique pas la décision d’Ottawa. À ses yeux, voyager au Mexique représente un «risque mineur» pour les Canadiens:

«Il y a encore plusieurs centaines de milliers de touristes américains au Mexique. Si nous pouvons recevoir les Américains, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas accueillir les Canadiens. Les conditions sanitaires permettent d’éviter que les touristes ne s’exposent au virus.»

Représentant 20% des touristes en visite au Mexique, 2,3 millions de Canadiens y ont séjourné en 2019, selon les données du même centre de recherche. Dès l’annonce de la suspension des vols, Mexico a prié Ottawa de revenir sur sa décision pour éviter une «crise économique».

Vers une hausse du crime organisé dans les régions touchées?

La désertion des plages par les Canadiens dans les trois principales zones qu’ils fréquentent le plus –Cancún, Puerto Vallarta et Los Cabos– pourrait y soulever d’importantes vagues de chômage, avertit le directeur du Centre de recherche et de compétitivité touristique de l’université Anahuac:

«Effectivement, compte tenu du chômage, il n’est pas impossible que nous assistions à une certaine croissance du crime organisé dans ces régions clés. […] Dans tous les cas, pour l’année 2021, le mal est déjà fait, car la grande majorité des Canadiens visitent le Mexique entre janvier et avril. Ils viennent ici pour fuir l’hiver.»

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Dans ce contexte difficile, Francisco Madrid estime que l’industrie touristique mexicaine devrait déjà penser à élaborer une stratégie pour compenser les dégâts.

«Il faut espérer que la vaccination mène à une rapide reprise de l’économie. À court terme, ce sera très difficile, mais l’industrie peut déjà se tourner vers le marché intérieur. Celui-ci représente déjà 65% du marché touristique. […] En dernier ressort, si les Canadiens devaient ne pas revenir, il faudrait alors se tourner vers une autre clientèle étrangère», conclut Francisco Madrid.

 

 

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