«Rien de nouveau sous le soleil. À part que ça s’agrave», déplore avec une pointe d’exaspération Barbara Lefebvre au micro de Sputnik. Depuis le 5 février et la publication dans Le Point du récit de Didier Lemaire, un air de déjà vu s’est installé dans les médias. Le professeur de philosophie, enseignant depuis une vingtaine d’années en zone prioritaire à Trappes (78), témoigne de son quotidien plombé par le communautarisme religieux. Au point d’être obligé de se rendre à son travail sous escorte policière! Didier Lemaire paye son engagement contre l’islamisme. En particulier une lettre ouverte dans L’Obs du mois de novembre 2020, peu après l’assassinat de Samuel Paty. Depuis, il attend son «exfiltration», entendre par là son changement d’établissement.
Intitulée «Comment pallier l'absence de stratégie de l'État pour vaincre l'islamisme?», la tribune en question évoquait la «progression d’une emprise communautaire toujours plus forte sur les consciences et sur les corps». Depuis, reproches, menaces et intimidations pèsent sur sa vie. Jusqu’au maire de Trappes qui l’accuse de colporter «des accusations mensongères et haineuses» qui le désignent «en tant que cible potentielle». Des témoignages qui rappellent, évidemment, le déroulé tragique des semaines qui ont précédé l’assassinat du professeur Samuel Paty. Une mère d’élève aurait glissé à une journaliste que, s’il «continuait à parler d’islam», il «serait le deuxième Samuel Paty», peut-on lire dans Le Figaro.
Des élèves qui s’autocensurent
Le sujet de l’islamisation de pans entiers du territoire français ne revient pas dans l’actualité. Il ne l’a vraiment jamais quittée. Le jeudi 21 janvier, Le Point offrait sa une à l’adolescente Mila aujourd’hui «bunkérisée et menacée». Plus récemment, une ex-journaliste de Charlie Hebdo, Zineb El Rhazoui, a accordé un entretien au Midi Libre. Elle y déclare vivre confinée depuis 2015 au point d’aspirer à se retirer de cette lutte. Mais les changements, ou plutôt les paliers, sont palpables pour les observateurs. Ce qui a changé aujourd’hui, avance Barbara Lefebvre, c’est «la vigilance des élèves». Au sein des établissements scolaires, donc.
Pour l’enseignante et essayiste, spécialiste de l’islam politique, si certains élèves ne sont «plus aussi revendicatifs qu’il y a vingt ans» dans leur soutien au communautarisme, il n’y a rien de rassurant: «Ils ont appris à être prudents.»
«Leurs propos racistes, antisémites ou sexistes s’exprimaient de façon décomplexée il y a vingt ans, précise au micro de Sputnik celle qui participait à cette époque à l’ouvrage collectif “Les territoires perdus de la République” (éd. Mille et Une Nuits). Avec les années 2010 et la prise de conscience politique et médiatique, les langues ont commencé à se verrouiller et les jeunes à s’autocensurer.»
Ses propos rejoignent ceux de Didier Lemaire sur ces enfants «élevés dans la haine de la France». Une «dissimulation» de la part d’une partie d’entre eux qui considère aujourd’hui la «discussion» impossible avec leur professeur. À la suite de sa publication de novembre 2020, ces derniers sont venus le voir, relate-t-il sur BFM TV, pour lui demander pourquoi il avait «écrit une lettre contre eux». «Je leur ai expliqué que c’était pour eux et non contre eux», déclare, impuissant, le professeur.
Le maire de Trappes, Ali Rabeh, a décidé d’attaquer le professeur en justice. L’enseignant a en effet accusé l’élu, sur CNews, de l’avoir traité d’islamophobe et de raciste, ce qui ne semble pas avoir été le cas. Devant les caméras de la chaîne d’information, le maire est entré dans un salon de coiffure mixte de sa commune. L’édile comptant démentir d’autres accusations de Didier Lemaire, selon lequel de tels lieux de mixité n’existeraient plus à Trappes.
De la possibilité d’une «reconquête» pour la République?
De telles scènes de discorde sont-elles appelées à se reproduire indéfiniment? Pour Barbara Lefebvre, dans «territoires perdus de la République», il ne faudrait pas entendre «perdus pour toujours».
«Il s’agit pour la République de les reconquérir, ajoute-t-elle. Or, pour ça, il manque une réelle volonté politique.»
Les témoignages de Didier Lemaire arrivent en pleine discussion à l’Assemblée nationale de la loi contre le séparatisme, rebaptisée «loi confortant les principes de la République».
Las, cette loi ne répondrait guère à l’impératif de sursaut politique qu’espère Barbara Lefebvre! «Elle ne sert à rien, c’est une loi fourre-tout, sans intérêt», tacle-t-elle. Son «seul point positif» serait «la pression qu’elle permettra désormais d’exercer sur la hiérarchie». Le projet de loi prévoit effectivement une nouvelle infraction qui servira à sanctionner tout acte d’intimidation à l’égard d’un agent d’un service public. «Même si cela n’aura aucun effet sur les djihadistes eux-mêmes», conclut l’essayiste.