«Dans ce cas-là, bien entendu, nous aurons une croissance qui ne pourra pas atteindre les 6% en 2021.» Alors qu’il se trouvait récemment devant la commission des finances du Sénat, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a temporisé. «Ce cas-là», c’est la plus que probable décision des autorités de resserrer la vis sur les mesures sanitaires. Et l’objectif des 6% de croissance est celui que s’est fixé l’État pour 2021. Les nouvelles restrictions qui menacent la France devraient tout chambouler.
«C’était prévisible. Il y a quelques semaines, j’avais déjà anticipé que nous serions au mieux à 5% de croissance en 2021. Bruno Le Maire fait bien de remettre en cause l’objectif des 6%. Dorénavant, il me semble que nous serons plus proche des 4%», anticipe au micro de Sputnik Philippe Simonnot, docteur en sciences économiques.
Devant une épidémie qui ne ralentit pas et l’apparition de variants du Covid-19 plus contagieux, l’exécutif a acté le fait que le couvre-feu à 18 heures ne suffisait plus. Des réunions ont été menées sous l’égide du Premier ministre, Jean Castex. «Deux consensus se sont dégagés. Le premier, c'est que la situation est fragile. Le second, qui découle du premier, c’est que nous devons prendre des mesures supplémentaires», a déclaré le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. Et de poursuivre: «Le couvre-feu à 18 heures a sans doute permis d'éviter une explosion du nombre de cas de Covid-19 dans notre pays, mais il n'est plus suffisant. Nous devons agir.»
Les mesures sanitaires pas saines pour l’économie
Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a mis en garde. Les variants originaires du Royaume-Uni et d’Afrique du Sud représenteraient désormais un dixième des cas en France (2.000 par jour). Ils «sont susceptibles d'entraîner une vague épidémique très forte, plus forte encore que les précédentes, compte tenu de [leur] forte contagiosité», a alerté le ministre.
D’après les données compilées par Santé publique France, environ 141.000 personnes ont été testées positives la semaine du 18 janvier. Cela représente une moyenne de 20.100 cas par jour, contre 128.000 la semaine précédente pour une moyenne de 18.300.
Emmanuel Macron pourrait donc annoncer de nouvelles mesures d’ici quelques jours. Et les pistes évoquées vont jusqu’à un troisième confinement. «Sincèrement, rien n'est décidé. Il y a une borne à samedi pour faire un point sur les effets du couvre-feu», a indiqué une source gouvernementale à l’AFP.
La décision est plus que délicate pour les autorités. L’Insee a publié ce 29 janvier des chiffres qui montrent l’impact des mesures sanitaires sur l’économie. 2020 a été une année noire avec une chute du PIB de 8,3%. Alors que le troisième trimestre 2020, qui n’a pas connu de confinement, avait vu l’activité bondir de 18,5%, les trois derniers mois de l’année ont été ceux d’une chute de 1,3%. «La perte d'activité de ce trimestre est marquée par le confinement en vigueur de fin octobre jusqu'à mi-décembre et par les couvre-feux mis en place au cours des mois d'octobre et décembre», analyse sans surprise l'Insee.
Même constat du côté des dépenses de consommation des ménages. Le deuxième confinement les a fait plonger de 5,4% après un rebond de 18,2% au troisième trimestre. Ce contexte fait que cette donnée, d’une importance capitale pour l’activité, se retrouve à –6,8% en glissement annuel par rapport à son niveau d’avant-crise «alors qu'elle l'avait presque rattrapé au trimestre précédent (–1,1 % en glissement annuel)», rapporte l’institut.
De tels chiffres ne présagent rien de bon pour ce début d’année. Comme le rapporte Le Figaro, Bercy anticipe que le confinement à venir «devrait plomber l'activité à hauteur de 10% à 18% selon le scénario retenu». De quoi rendre inatteignable l’objectif des 6% de croissance en 2021. Problème de taille, c’est ce chiffre qui a servi de référence pour le dernier projet de loi de Finances.
«C’est toute la question. On a validé une feuille de route en pensant que la croissance serait au rendez-vous. On voit que ce ne sera pas le cas. Du moins pas au niveau prévu. Cela entraînera un surplus de déficit et des difficultés supplémentaires à équilibrer les comptes», alerte Philippe Simonnot, coauteur de Europe’s Century of Crises Under Dollar Hegemony (éd. Palgrave Macmillan).
L’État a mis plus de 300 milliards d’euros sur la table en 2020 afin de contenir les effets du choc économique. Et les vannes du soutien devraient rester ouvertes en ce début d’année. Beaucoup des entreprises les plus fragiles actuellement évoluent dans des secteurs très touchés par les mesures sanitaires: l’hôtellerie-restauration, les salles de sport, la culture… «Le choc devient de plus en plus concentré», souligne auprès de l’AFP Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il note: «Au dernier trimestre, la moitié de la perte d'activité se concentre dans des secteurs qui représentent 11% du PIB».
Des entreprises qui n’auraient pas dû survivre
Philippe Simonnot souligne que, grâce notamment aux aides de l’État, l’année 2020 a vu une chute spectaculaire du nombre de faillites. Selon une étude publiée le 18 janvier par le cabinet Altarès, les défaillances d’entreprises ont reculé de 38,1% en 2020, atteignant leur plus bas niveau depuis trente ans.
«Cela signifie que l’exécutif a maintenu en vie des entreprises dont certaines auraient dû faire faillite même en l’absence du Covid. L’économie française va devoir composer avec une multiplication d’entreprises zombies qui n’auraient pas dû survivre. Un tel contexte est de nature à sérieusement gêner la reprise», prévient-il.
L’économiste note que la France n’est pas la seule dans ce cas: «C’est un problème rencontré par plusieurs pays européens.» Le quotidien belge Le Soir rapporte que, selon Graydon, spécialiste de l’offre de solutions d’entreprise, le Plat Pays a enregistré une baisse de 33% du nombre de faillites en 2020. «Dans des circonstances normales, nous serions ravis de ces chiffres. Nous n’avons jamais rapporté aussi peu de faillites sur les dix dernières années. Malheureusement, ces chiffres optimistes masquent ceux, bien moins réjouissants, que nous signalent les entrepreneurs. C’est le calme avant la tempête attendue en 2021. Ces données ne disent rien sur la réalité de l’économie», prévient le directeur recherche et développement de Graydon, Eric Van den Broele, cité par Le Soir.
«Aux États-Unis, il y a eu une cascade de faillites qui a fait exploser le chômage. Mais le pays compte désormais beaucoup moins de ces entreprises zombies. Cela permet à l’économie de repartir sur des bases plus saines. Au contraire de l’Europe et de la France qui, à cause de leur stratégie, vont se retrouver encombrées», analyse Philippe Simonnot.
Tout n’est pas noir cependant. L’effet des mesures restrictives sur la période octobre-décembre a été beaucoup moins important qu’au printemps. Au deuxième trimestre, le PIB était inférieur de 18,8% à son niveau d’avant-crise contre une chute de «seulement» 5% au dernier trimestre.
«Il y a des motifs d'espoir», lance Mathieu Plane auprès de l’AFP. Selon l’économiste, la fin d'année 2020 montre qu'«il y a un apprentissage très fort de la gestion de la crise sanitaire d'un point de vue économique». L’économie française apprend-elle à vivre avec le virus?
«C’est impossible à dire, mais il me semble que certains assimilent la situation. D’autres en profitent même. C’est un phénomène que l’on constate à chaque période de grande crise. Même lors de l’occupation allemande, des malins ont réussi à tirer leur épingle du jeu», répond Philippe Simonnot.
L’économiste souligne la détresse de très nombreux entrepreneurs tout en donnant quelques exemples d’opportunistes qui prospèrent en ces temps troublés:
«Prenez le cas d’un restaurateur qui touche 10.000 euros par mois au titre du fonds de solidarité mis en place par le gouvernement. Il n’aurait jamais pu espérer un tel montant d’aide dans une situation normale. Et, s’il réalise des ventes à emporter ou en livraison, il est possible qu’il gagne plus qu’avant.»