«On nous promet sans arrêt le retour de la démocratie, avant de laisser la proportionnelle au cimetière des promesses non tenues», s’emporte le sénateur du Rassemblement national Stéphane Ravier.
C’est en effet une promesse de campagne d’Emmanuel Macron qui risque bien de voler en éclats. Le mode de scrutin, censé assurer une meilleure représentativité des élus de l’Assemblée nationale, ne verra probablement pas le jour avant 2022, selon un «conseiller haut placé» cité par France Inter. L’exécutif aurait déjà trop de choses dans les bras.
La crise sanitaire, mais aussi quelques intérêts politiques sont passés par là. «L’ancrage territorial est utile et je ne suis pas favorable à l’idée de faire rentrer cent députés RN au Parlement», a clairement assumé Christophe Castaner, selon des propos rapportés par L’Opinion le 19 janvier dernier.
«Cent députés du RN, cela peut faire beaucoup pour ceux qui ont confisqué depuis bien longtemps la démocratie. M. Castaner aura au moins eu la sincérité d’avouer qu’il était hors de question que les Français puissent être réellement représentés. Ce sont pourtant les Français qui s’expriment», s'agace Stéphane Ravier au micro de Sputnik.
Cheval de bataille du MoDem et de Français Bayrou, qui avait conditionné son soutien à Emmanuel Macron en 2017 sur la base de cette promesse, la proportionnelle semble pourtant bel et bien morte et enterrée.
Un système (trop) peu représentatif?
Las, le haut-commissaire au Plan est conscient que l’agenda parlementaire sera probablement trop serré pour faire passer cette réforme. Il plaide désormais pour un référendum sur le sujet. «On a vu, ces dernières années, des scores majeurs, par millions de suffrages, à l’élection présidentielle, se solder par 1% des sièges à l’Assemblée! Comment les citoyens accorderaient-ils du crédit à une Assemblée où une majorité d’entre eux n’est pas représentée?» a-t-il ainsi déploré dans Le Figaro de ce lundi 25 janvier.
«Il y a 348 sénateurs et le RN n’en compte qu’un seul: c’est quand même assez extravagant pour un pays qui donne des leçons de démocratie à la Terre entière», fustige quant à lui Stéphane Ravier, unique représentant du Rassemblement national à la Chambre haute.
Les partisans de la proportionnelle estiment ainsi qu’un changement de régime électoral permettrait d’éviter le problème de sous-représentativité posé par le système majoritaire tel qu’il existe actuellement. Avec plus de 10 millions d’électeurs lors de la présidentielle de 2017, le Rassemblement national n’a ainsi pu obtenir que huit sièges lors des législatives organisées dans la foulée (contre 350 pour la majorité présidentielle).
Un «mur antidémocratique»
Autre avantage, si l’on en croit les plus farouches défenseurs de la proportionnelle: le renforcement consécutif du poids du pouvoir législatif, souvent désigné comme un faire-valoir au service de l’exécutif. Député MoDem des Hauts-de-Seine, Jean-Louis Bourlanges a adressé une note au gouvernement sur le sujet. Dans Le Figaro du 18 janvier dernier, il estime que la «quasi-simultanéité des scrutins présidentiel et législatif» occasionnée par le passage au quinquennat a grandement affaibli le pouvoir du Parlement, bien souvent assujetti au pouvoir exécutif.
«Une partie de la défiance vient de ce que les Français se sentent loin de cette classe politique qu’ils ne comprennent pas», complète sa collègue Isabelle Florennes.
Dans leur grande majorité, les Français se déclarent favorables à la proportionnelle. Selon un sondage de l’Ifop paru ce mardi 26 janvier, plus d’un Français sur deux (52%) se dit insatisfait du système actuel, et environ trois sur quatre (76%) adhèrent à l’introduction d’une dose de proportionnelle.
Des «moutons aux ordres de l’Élysée»
Sans surprise, néanmoins, la proportionnelle ne convainc pas franchement au sein de la droite dite «de gouvernement», concurrente immédiate du RN. Les piliers des Républicains invoquent un risque de paralysie au plus haut sommet de l’État et la menace d’un renforcement des partis au détriment du gouvernement.
«La proportionnelle, c’est le pouvoir de nomination donné aux partis contre le choix du peuple. C’est le retour à la IVe République», s’inquiète ainsi dans Le Figaro ce lundi 25 janvier Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat. «Je suis opposé à la proportionnelle, qui dégrade le lien de proximité indispensable avec les citoyens, favorise l’élection de députés “hors sol” et donne aux seuls partis le choix des candidats et fragilise les majorités», énumère de son côté Gérard Larcher, le président du Sénat.
Des arguments rejetés en bloc par Isabelle Florennes, qui souligne qu’«une dose de proportionnelle à 25% ne paralyserait pas l’exécutif, car elle permettrait d’assurer une majorité quoi qu’il en soit.» Bien au contraire, pour la députée MoDem: «La proportionnelle obligerait le gouvernement à trouver des consensus plus larges avec différents groupes politiques. Le Parlement s’en trouverait renforcé.»
«Les élus ne se contenteraient plus de servir des intérêts partisans. Ils œuvreraient dans l’intérêt général, en essayant de trouver des consensus: cela les forcerait à bosser! C’est facile d’être des moutons et de suivre les ordres de l’Élysée. Cela remettrait à l’honneur le pouvoir du Parlement», corrobore Stéphane Ravier.
«Les Français doivent pouvoir choisir leurs représentants, quelle que soit leur place dans l’échiquier politique. Cela permettrait un regain d’intérêt des Français pour la politique», ajoute-t-il, œcuménique. «C’est une question qui peut rassembler au-delà des partis», confirme de son côté Isabelle Florennes.
Tambouille politicienne
La crise sanitaire et l’horizon de la présidentielle de 2022 ne devraient toutefois pas inciter l’exécutif à précipiter la refonte du mode de scrutin pour les législatives. «Si nous faisions la proportionnelle à l'approche des élections, je ne peux pas m'empêcher de penser que, peut-être, des esprits bienveillants nous diraient qu'on est dans du tripatouillage électoral et je pense que ce serait une erreur politique», anticipait fin septembre Stanislas Guerini, le délégué général de La République en marche.
Une tambouille politicienne qui a le don d’exaspérer Stéphane Ravier. «Quand il y a une volonté politique et une majorité parlementaire pour le faire, c’est très simple à réaliser. Quand on veut, on peut», estime-t-il ainsi. Isabelle Florennes, qui milite toujours avec son parti pour une instauration de la proportionnelle avant la fin du mandat d’Emmanuel Macron, juge également que «tout est encore possible» pour faire passer la réforme institutionnelle.
«On a encore la possibilité dans le calendrier législatif d’inscrire un texte. Il y a une attente démocratique des Français sur ce sujet: j’espère que le Président de la République aura le courage de mener à bien cette réforme», lance la députée du MoDem.
La donne s’annonce toutefois complexe. Depuis 2019, la loi interdit de toucher au mode de scrutin à moins d’un an de l’échéance. Dans le premier projet de loi, présenté en mai 2018, mais dont la discussion avait été interrompue par l’affaire Benalla, le Président de la République avait décidé d’élire 15% de députés sur une liste nationale, sur une Assemblée dont l’effectif global aurait été réduit de 30%. Or, un redécoupage des circonscriptions serait alors obligatoire pour appliquer la proportionnelle.
Tout porte donc à croire qu’Emmanuel Macron s’inscrira dans le sillage de ses deux derniers prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, lesquels avaient eux aussi abandonné la proportionnelle après en avoir fait une promesse de campagne.
La dernière fois que la proportionnelle intégrale avait été appliquée en France, pas moins de trente-cinq députés du Front national étaient alors entrés au palais Bourbon. C’était en 1986, sous l’impulsion d’un certain François Mitterrand. Le scrutin majoritaire avait été rétabli par Jacques Chirac, à l’époque Premier ministre de cohabitation, au prix d’un redécoupage des circonscriptions.