Rapport sur la guerre d’Algérie: «l'histoire n'est pas juste, elle est violente»

L’historien Benjamin Stora a remis à Emmanuel Macron son rapport sur les questions mémorielles liées à la guerre d’Algérie. En ressort une série de préconisations censées rapprocher Français et Algériens, tout en sortant de la «repentance». Retour sur un sujet épineux aux enjeux multiples.
Sputnik

Dans un courrier daté du 24 juin 2020 et rendu public, le chef de l’État s’adresse à l’historien spécialiste du Maghreb et des guerres de décolonisation Benjamin Stora. L’invitant à se pencher sur les moyens nouveaux de «réconciliation des peuples français et algériens», il lui propose de présenter ses premières conclusions d’ici à la fin de l’année. Ce mercredi 20 janvier, celui qui préside le conseil d'orientation de la Cité nationale de l'histoire de l’immigration a transmis un rapport de près de 150 pages sur les questions mémorielles liées à la Guerre d’Algérie et à la décolonisation. Une série de mesures suggérées afin d’apaiser les tensions latentes et panser des plaies encore vives de part et d’autre.

Invité par Sputnik à réagir aux préconisations contenues dans ce dossier, Pierre Vermeren, également historien et spécialiste du Maghreb, y voit, pour le moment, une participation française à l’usage des Français surtout.

« Il est difficile de s’exprimer tant que nous n’avons pas le retour de la partie algérienne. Au départ, c’était une commission mixte et elle n’a finalement été écrite que par la partie française. Il faudrait voir ce qu’en pensent les Algériens. Je constate qu’il s’agit d’une réflexion française», précise l’auteur du Choc des décolonisations, de la guerre d'Algérie aux printemps arabes (éd. Odile Jacob).

En effet, si le travail côté français a été produit par Benjamin Stora, il devait initialement être accompagné, côté algérien, par le directeur des archives algériennes, Abdelmadjid Chikhi, lequel devrait remettre prochainement un rapport au Président Tebboune. Ne faisant pour l’heure l’objet d’aucun commentaire outre-Méditerranée, le rapport Stora multiplie les gestes de réparation.

Une main tendue aux Algériens

Dans une volonté de conciliation binationale, l’auteur plaide pour une reconnaissance des blessures mutuelles «des deux côtés de la Méditerranée». Refusant la repentante et les excuses, il propose plutôt au gouvernement une série de mesures commémoratives. Chacun se souvient pourtant des propos tenus par Emmanuel Macron à la télévision algérienne en février 2017. Le Président fraîchement élu avait qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité», provoquant l’ire des descendants de pieds-noirs dont près d’un million avaient dû être rapatriés d’Algérie à partir de 1962. Notre intervenant, qui rappelle avoir déjà désapprouvé les paroles du Président, rappelle que, «en histoire on ne s’excuse pas, surtout quand les acteurs sont morts», que c’est même un consensus très clair partagé par la classe politique, les citoyens, les historiens.

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Benjamin Stora aurait donc raison d’en finir avec la repentance. Ses préconisations sont autant de symboles marquants, sans doute plus forts que de plates excuses. Au sommaire figurent la panthéonisation de l’avocate Gisèle Halimi, figure d’opposition à la guerre d’Algérie, le projet d’accorder une place plus importante à la guerre d’Algérie dans les programmes scolaires, un meilleur accès aux archives, notamment de la part d’étudiants algériens, ainsi que des programmes de rapprochement de jeunes, un certain nombre de commémorations (stèles, noms de rues, lieux de mémoire) en hommage à des figures algériennes actives durant la colonisation. Pour Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1, ces initiatives sont difficilement applicables.

« Il y a une question française et une question franco-algérienne qu’il faut distinguer. En Algérie, les étudiants ne travaillent pas sur ces questions à l’université, c’est un sujet réservé à l’historiographie officielle. C’est pareil pour l’ouverture des archives françaises : elles sont déjà accessibles, mais les jeunes Algériens n’étudient pour la plupart pas en français, surtout en sciences humaines. Un rapport français ne changera à mon sens pas les choses. La question des programmes d’histoire en France est problématique aussi, ils ont été refaits il y a deux ans en incorporant cette dimension, il n’y aura donc pas de réécriture immédiate» estime Pierre Vermeren.

Un rapport « intéressant, pas provocateur, pacificateur même», mais que le spécialiste du Maghreb juge confronté à des obstacles de taille, dont la réclamation d’excuses et d’indemnisations «chiffrées par les Algériens à 100 milliards d’euros» par exemple.

Quid des Français rapatriés?

En plus de cette série d’actes censés réconcilier les Français et les Algériens, l’auteur du rapport propose des gestes à l’égard des rapatriés de la guerre. Entre autres, l'établissement d'une liste des Européens d'Oran enlevés par le FLN, une circulation facilitée en Algérie pour les harkis et leurs descendants, ou encore la préservation des cimetières européens et juifs. Certains Français n’ont pourtant pas goûté ce qu’ils considèrent comme un deux poids, deux mesures, voire un affront fait aux descendants de pieds-noirs. C’est le cas du maire de Perpignan, Louis Aliot, qui dénonce une «guerre mémorielle à des familles françaises durement éprouvées par les atrocités du FLN».

Pour Pierre Vermeren, il est clair que ces tensions ne s’apaiseront pas ainsi, chaque camp restant marqué par des drames personnels et réclamant des excuses du gouvernement français, les uns pour la colonisation, les autres pour le rapatriement forcé et l’abandon dont ils estiment avoir été victimes.

« La question c’est : est-ce une commission de réconciliation entre les Français et l’Algérie ou bien entre les Français eux-mêmes? La réponse qui a été donnée vise plutôt les Français. Un geste a par ailleurs été fait pour les disparus enlevés à Oran. Maintenant la souffrance de l’expulsion, du mauvais accueil reçu en France, de l’absence d’indemnisation resteront en suspend quoi qu’il arrive. L’histoire n’est pas juste, elle est violente. Doit-on s’excuser pour l’histoire? Une vraie question philosophique.»

La classe politique qui fait face à ces événements ne les a pas connus et n’est donc pas responsable, prend néanmoins soin de rappeler Pierre Vermeren. Pour ce dernier ils auraient d’abord dû être «affrontés par les dirigeants de l’époque».

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Plaidant pour la «circulation des mémoires», Benjamin Stora s’est quant à lui défendu d’être dans l’unilatéralisme. Invité sur France Inter pour détailler son rapport — lequel paraîtra en mars aux Editions Albin Michel — il a rappelé que le drame des rapatriés concernait sa propre famille et qu’il comprenait leur souffrance qui devait également être prise en compte. Une personne sur dix en France serait ainsi directement concernée par la guerre d’Algérie dans son histoire familiale, soit près de sept millions d’individus. Nul doute que la contribution Algérienne est elle aussi très attendue.

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