Prolongation de l’état d’urgence: si «chaque restriction se justifie par un risque à venir, tout est possible!»

L’Assemblée nationale a adopté le projet de loi qui allonge l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin 2021. Avec le report des élections du mois de mars prochain, des élus s’inquiètent pour l’agenda électoral de 2022. «Une logique sans fin» du pouvoir, qui laisse tout imaginer, craint Me René Boustany, cofondateur du Cercle Droit et Liberté.
Sputnik

Le Coup d’État permanent: la formule de François Mitterrand contre la pratique du pouvoir gaulliste finira-t-elle par s’appliquer à l’état d’urgence sanitaire? En vigueur depuis presque un an, les inquiétudes persistent de voir le régime d’exception instauré par le gouvernement Macron devenir lui aussi permanent.

Mercredi 20 janvier, l’Assemblée nationale a donné son autorisation par 133 voix contre 43 à la prolongation de cette situation exceptionnelle, qui dure depuis le 23 mars 2020. Le texte passera le 27 devant la Chambre haute, où certains sénateurs s’apprêtent à limiter sa durée d’application à la fin avril, mais ils n’auront pas le dernier mot. Le gouvernement devrait donc avoir encore les mains libres quelques mois pour prendre des mesures restrictives.

Le pouvoir exécutif justifie une telle procédure par l’argumentaire déjà mobilisé lors des dernières prorogations: la nécessité de contenir la reprise de l’épidémie de Covid-19, renforcée par l’actualité des variants britannique et sud-africain, lesquels inquiètent le ministre de la Santé et des Solidarités, Olivier Véran. «Je comprends la lassitude et le souhait de sortir de la crise, mais aujourd’hui nous ne pouvons nous priver d’aucun outil pour combattre le virus», déclarait-il hier devant une Assemblée divisée. «L’épidémie est sur un fil», a-t-il ajouté.

«Un chantage à la responsabilité» dénoncé par plusieurs élus, qui voient dans cette crise l’occasion pour le gouvernement de mener le pays entier à la baguette. Face au report prévisible des élections départementales et régionales, prévues au mois de mars, l’inquiétude règne de voir d’autres rencontres démocratiques déprogrammées.

Le coup d’État d’urgence sanitaire permanent?

Si l’état d’urgence sanitaire, qui devait s’achever le 16 février 2021, devrait donc être maintenu jusqu’au 1er juin prochain, le texte voté ce mercredi a été amputé en commission des lois de sa partie permettant à l’exécutif de basculer, après la date limite, vers un régime transitoire. Un moyen d’assurer jusqu’au 30 septembre 2021 le retour à la normale.

Ses opposants accusaient la mesure d’allonger sans le dire l’état d’urgence sanitaire par un cadre juridique imprécis. «Une petite victoire», selon Me René Boustany, cofondateur du Cercle Droit et Liberté, qui n’entame en rien «le fait qu’aucune sortie de crise ne pointe à l’horizon».

«Du moment où chaque restriction vient se justifier par la considération de risques à venir, tout est possible!», s’exaspère René Boustany au micro de Sputnik. «Hier, le nombre de gens en réanimation fixait le cap, aujourd’hui, c’est celui des contaminés, demain ce sera la crainte des variants étrangers. Dans cette logique-là, chaque date est obligatoirement amenée à être décalée.»

«Une banalisation de l’état d’urgence» dénoncée hier à l’Assemblée nationale, qui rappelle la tentative du gouvernement de faire passer juste avant Noël un projet de loi pérennisant l’état d’urgence sanitaire. Déposé en procédure accélérée devant l’Assemblée nationale, le texte visait à faire entrer dans le droit commun les mesures exceptionnelles prises depuis mars 2020.

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La réglementation et l’interdiction de la circulation, de sortie de son domicile, la mise en quarantaine, la fermeture des établissements ou encore la limitation ou l’interdiction des rassemblements: autant de pouvoirs exceptionnels qui auraient pu alors se passer de l’accord du Parlement pour être avalisé par le pouvoir exécutif. Devant le tollé suscité par cette annonce, notamment en raison d’une mention planifiant la mise en place d’un «passeport vaccinal», le texte avait été reporté.

Reporter les Présidentielles de 2022?

Gérard Larcher, interrogé ce 21 janvier sur France Info, a rappelé la nécessité d’impliquer l’un contrôle permanent du Parlement dans ce processus, notamment sur la date de sortie de crise fixée par le pouvoir exécutif. Le président LR du Sénat a déclaré que «l’idée d’aller jusqu’au 1er juin sera sans doute ramenée aux deux mois et demi habituels». Autre motif d’inquiétude de la part du notable Les Républicains, le report des élections départementales et régionales au mois de juin. Une mesure préconisée par le rapport fourni par Jean-Louis Debré.

Une telle bousculade dans l’agenda électoral pourrait-elle aussi déboucher sur un report des élections présidentielles en 2022? Dans «la configuration actuelle de la gestion de la crise», on peut l’envisager, craint René Boustany, «même si le gouvernement n’y a aucun intérêt».

«Il serait handicapé, parce qu’il manquerait cruellement de légitimité, précise l’avocat. D’ailleurs d’autres États ont organisé leurs élections malgré la pandémie. Chez nous, les élections municipales de mars 2020 n’ont pas fait exploser le nombre de contaminés. Mais cela pose la question de la campagne: où serait la rencontre entre le candidat et le peuple sans meeting et sans contact réels? On ne fait pas une élection présidentielle sur Zoom!»

Des conditions difficilement imaginables pour le cofondateur du Cercle Droit et Liberté, qui appelle davantage à «réapprendre à vivre avec le virus», «dans une vie démocratique qui n’existe plus» depuis bientôt un an. L’absence «d’issue politique» est en train, conclut-il, de faire monter une colère sociale devant laquelle «les Gilets jaunes feront pâle figure».

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