Israël peut-il empêcher Biden de revenir dans l’accord sur le nucléaire iranien?

Les dirigeants israéliens entendraient peser de tout leur poids pour que la nouvelle Administration américaine ne revienne pas dans l’accord sur le nucléaire iranien. Au micro de Sputnik, le géopolitologue Riadh Sidaoui, directeur du CARAPS, estime que ces efforts israéliens devraient rester vains. Explications.
Sputnik

«Si Biden adopte le plan d’Obama, nous n’aurons rien à discuter avec lui», a expliqué un haut responsable israélien à la chaîne israélienne Channel 12.

Ce n’est un secret pour personne, Israël est hostile à l’idée d’une levée des sanctions contre Téhéran et d’un retour américain dans l’accord sur le nucléaire iranien signé à Vienne en 2015, officiellement désigné comme «Joint Comprehensive Plan of Action» (JCPoA). Par contre, il est inédit qu’un dirigeant hébreu entende endommager la relation privilégiée qu’entretient Israël avec les États-Unis si ces derniers revenaient dans le JCPoA, allant même jusqu’à dire que dans ce cas de figure, Israël n’aurait «rien à discuter» avec le nouveau Président américain.

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Washington a déjà prévenu qu’il parlerait au préalable à ses alliés israéliens, qui entretiennent des rapports pour le moins conflictuels avec l’Iran, des conditions de son éventuel retour dans l’accord de Vienne. Mais il a également prévenu que si des modifications pouvaient être apportées, le retour dans le JCPoA restait une priorité de la politique étrangère du nouveau Président, Joe Biden.

Israël plus important pour Washington que ses alliés européens?

Netanyahou a déjà –et à plusieurs reprises– critiqué publiquement cette stratégie, faisant pression sur l’Administration Biden pour qu’elle abandonne l’idée de faire marche arrière avec l’Iran. Le gouvernement israélien, dont l’influence est particulièrement importante à Washington, peut-il faire capoter les plans américains?

«Je ne pense pas», explique au micro de Sputnik le géopolitologue Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (CARAPS). «Il faut expliquer que ce n’est pas un accord bilatéral entre les États-Unis et l’Iran. C’est un accord entre cinq États membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu, plus un pays qui est l’Allemagne. De plus, c’est un accord qui est passé par le Conseil de sécurité, donc il a une valeur légale sur le plan du droit international», ajoute-t-il.

Au-delà de l’aspect purement formel, tous les autres signataires ont exprimé leur souhait d’un retour à une participation normale des acteurs qui ont apposé leurs signatures sur le texte.

Parts de marchés iraniennes

Parmi ces pays se trouvent des alliés très proches des États-Unis, rappelle Riadh Sidaoui. Il n’y a, de ce point de vue, pas de raison que Washington cède aux pressions israéliennes:

«Ce retour dans l’accord a le soutien de la France, l’Angleterre et l’Allemagne, ainsi que d’autres pays signataires. Certains pays, Européens notamment, ont des intérêts économiques énormes en Iran», rappelle-t-il.

En effet, que ce soit dans le domaine des hydrocarbures ou de l’industrie automobile, de nombreuses compagnies françaises et allemandes, comme Peugeot-Citroën ou Volkswagen, ont dû quitter l’Iran après la réimposition des sanctions américaines en 2018. Le marché iranien constituait pourtant une source de revenus considérable pour les entreprises, notamment de ces deux pays.

Revenir dans l’accord: la «conviction» de Joe Biden

À titre d’exemple, en 2015, lorsque l’accord sur le nucléaire a été conclu, les exportations allemandes vers l’Iran ont augmenté de 27%. En 2017, la valeur des exportations allemandes vers la République islamique était estimée à 3,5 milliards d’euros.

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Au-delà de la variable du droit international et des intérêts des parties prenantes, Riadh Sidaoui estime que Joe Biden, qui était dans l’équipe à l’origine du texte de 2015, a intérêt à le ressusciter:

«Selon moi, Joe Biden, qui faisait partie de l’Administration qui a réalisé cet accord sur le nucléaire, va revenir dans cet accord sur le nucléaire, car c’est sa conviction.»

Pourtant, revenir dans le JCPoA pourrait s’avérer être un pari risqué pour Joe Biden. Il en sait quelque chose. La volonté de Barack Obama d’avoir une relation moins antagoniste avec Téhéran et se confronter à Netanyahou sur certains sujets lui avait valu une mauvaise presse, elle avait également déclenché la furie du camp Républicain, voire Démocrate. Certains Républicains pro-Israël étaient même allés jusqu’à qualifier Obama de sponsor du terrorisme. Le Premier ministre israélien avait prononcé un discours devant le Congrès américain pour dénoncer la politique menée par le chef d’État américain vis-à-vis de l’Iran.

Israël menaçant, mais impuissant?

En s’engageant donc frontalement contre la volonté israélienne sur un dossier aussi stratégique que celui du nucléaire iranien, Joe Biden s’expose donc à de nombreuses attaques et pressions qui pourraient ternir sa présidence. Pourtant, le géopolitologue Riadh Sidaoui prédit, sur la base de l’historique de la Présidence Obama, que Joe Biden ne cèdera pas:

«En 2015 déjà, le gouvernement israélien n’avait rien pu faire pour empêcher la signature de l’accord dans un premier temps. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui? De quel levier dispose Israël aujourd’hui qu’il n’avait pas il y a six ans?»
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