L’arrivée au pouvoir de Jo Biden va-t-elle sonner l’heure de la réconciliation entre Washington et Téhéran? Il est trop tôt pour le dire, mais le secrétaire d’État du nouveau Président américain, Antony Blinken, a envoyé un signal encourageant: il souhaite revenir dans l’accord international de 2015 sur le nucléaire iranien –que Donald Trump avait dénoncé en 2018– à condition que «l’Iran rentre dans les clous».
Pour Baki Maneche, travaillant avec la République islamique depuis plusieurs années et associé fondateur du cabinet d’avocats international Ferdowsi Legal, basé à Téhéran, l’Iran est en position de force face à Joe Biden et il compte bien en profiter pour imposer ses conditions.
«Joe Biden souhaite un rapide retour à l’accord sur le nucléaire, et ce, avant que l’Iran n’atteigne une capacité d’enrichissement en uranium suffisante pour le niveau militaire. L’Union européenne –et notamment la France– craint que l’Iran se rapproche de la ligne rouge. Contre toute attente, Téhéran se retrouve en position de force pour négocier avec la nouvelle Administration américaine», assène l’avocat au micro de Sputnik.
L’Iran a en effet augmenté sa capacité d’enrichissement en uranium et se retrouve dans une situation similaire à celle de l’époque de Mahmoud Ahmadinejad: il cherche donc à inverser le rapport de forces avec nouvelle Administration américaine.
L’uranium comme levier de négociations
La confiance de Téhéran dans la parole américaine ayant été douchée par Donald Trump, Téhéran attend donc des faits et des preuves pour aller à la table des négociations. Baki Maneche précise la posture de l’Iran:
«Le jeu politique impose de montrer l’image d’un pays fort et sûr de ses actes. L’Iran montre ses muscles et adopte une posture agressive en attendant les négociations. Plus Téhéran enrichit son uranium, plus il sera en mesure d’imposer des conditions à la table des négociations»
En voulant revenir dans l’accord sur le nucléaire iranien, Joe Biden doit également rassurer ses principaux alliés régionaux, Israël et l’Arabie saoudite en tête. Les deux pays s’inquiètent d’un éventuel rapprochement entre Washington et Téhéran. Le nouveau Président américain a tout de même rappelé les liens «sacro-saints» avec Israël.
«Les Américains doivent un minimum rassurer les ennemis intérieurs et extérieurs de l’Iran. De même que les réformateurs en Iran au pouvoir aujourd’hui doivent préparer les élections présidentielles de juin prochain en ménageant leur image face aux conservateurs et aux durs du régime», précise l’avocat.
Washington attend beaucoup d’un retour dans l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, le JCPOA, pour également freiner les ambitions de la Chine au Moyen-Orient.
Washington sur le fil du rasoir
De fait, Pékin a signé une série d’accords commerciaux et militaires avec l’Iran en vue de contourner une partie des sanctions économiques américaines et surtout dans le but de sanctuariser un réseau d’alliances hostile aux États-Unis.
Comme dans les autres pays soumis aux sanctions américaines, le quotidien des Iraniens est difficile. L’embargo et le durcissement des mesures coercitives empêchent Téhéran de recevoir des investissements étrangers et de développer des projets économiques et industriels. L’Iran est plongé dans une récession qu’a encore aggravée la pandémie de Covid-19, les autorités iraniennes et surtout la population, qui aspire à une meilleure qualité de vie, attendent donc beaucoup d’une levée des sanctions.
Une aubaine pour l’Iran?
Néanmoins, comme nous le précise Baki Maneche, les Iraniens restent tout de même méfiants quant aux conditions et à la mise en pratique de cet éventuel retour de Washington dans l’accord de Vienne:
«Les Iraniens sont aujourd’hui désabusés par les promesses non tenues après la signature du JCPOA. Déjà, avant la sortie de Donald Trump, plus de deux ans après la signature de l’accord, les effets concrets pour la classe moyenne et populaire se faisaient attendre.»
Les effets des sanctions américaines asphyxient littéralement l’économie iranienne. Aujourd’hui l’important pour la population locale, c’est le pouvoir d’achat, en fin de compte largement dépendant d’une remise sur les rails de l’accord sur le nucléaire. Un enjeu de politique intérieure majeure pour l’actuelle équipe dirigeante, souligne Baki Maneche:
«Ce qui compte pour la population aujourd’hui, c’est son pouvoir d’achat et la gestion de la crise sanitaire. Si les réformateurs arrivent à négocier et obtenir d’ici le Nouvel An Perse (le Nowrouz), le 21 mars prochain, le retour des Américains à certains engagements, voire un retour total dans l’accord, il pourrait y avoir des effets visibles cette fois pour la population et un contentement général.»
Malgré les déclarations encourageantes d’Antony Blinken, les deux parties se méfient, se craignent pour des raisons évidentes. Une chose est sûre, l’Administration Biden veut prouver au monde entier que l’ère Trump est révolue et cela passe nécessairement par le dossier iranien.