Plus que jamais persécutés, les chrétiens d’Orient «se sentent littéralement trahis»

Malgré la disparition de l’État islamique, la situation des chrétiens d’Orient continue à se détériorer, les pays du Moyen-Orient pratiquant toujours des persécutions «extrêmes» ou «très fortes». Témoin direct, Alexandre Goodarzy, ancien chef de mission Syrie pour l’ONG SOS chrétiens d’Orient, analyse cette situation pour Sputnik.
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60%: c’est l’augmentation du nombre de chrétiens tués en raison de leur foi en 2020 par rapport à 2019. Ils sont 4.761 à avoir ainsi trouvé la mort l’an dernier, selon l’Index mondial de persécution des chrétiens. Un bilan qui comprend aussi le nombre de personnes emprisonnées, d’églises détruites ou de «discriminations à l’éducation ou à l’emploi, meurtres, torture, détentions arbitraires ou mariages forcés…», le tout dans un silence médiatique pesant.

La Première dame de Syrie sous le coup de nouvelles sanctions américaines
Et si la plupart des morts se concentrent dans quelques pays africains, dans la plupart des pays du Moyen-Orient et d’Asie centrale, les persécutions sont «extrêmes» ou «très fortes», selon l’association protestante évangélique Portes ouvertes, auteur de cette étude.

Ayant travaillé au plus près des populations victimes de ces exactions au Moyen-Orient, Alexandre Goodarzy, ancien chef de mission Syrie pour l’ONG SOS chrétiens d’Orient, estime au micro de Sputnik que malgré la fin de la guerre dans la majeure partie de la région, les chrétiens se sentent en danger. Ils n’ont plus confiance en la communauté musulmane.

«Avant la guerre, les gens vivaient ensemble. Aujourd’hui, c’est chacun de son côté, comme au Liban.»

Le phénomène du Liban post guerre-civile ressort en effet souvent pour décrire la future situation des chrétiens d’Orient. Alors que la disparition de l’État islamique* pouvait laisser espérer que les tensions à l’encontre des chrétiens d’Orient s’apaiseraient, il n’en a rien été.

Lâchés par l’Occident

En effet, s’ils pouvaient auparavant compter sur la protection de l’Occident, sorte de protecteur naturel, de grand frère spirituel, celui-ci –et plus particulièrement les États-Unis– a fait le choix d’un alignement sur les puissances sunnites régionales, au détriment des chrétiens. L’Occident les a délaissés à des fins de politique étrangère, souligne Alexandre Goodarzy:

«Nombreux sont les chrétiens qui pensent et disent que leur exil a été encouragé et facilité par l’Occident. Aujourd’hui, seuls les plus déterminés, les plus fidèles ont décidé de rester. L’Occident a littéralement abandonné ou fait mine de minorer le sort des chrétiens d’Orient»,

Plus de 4.700 chrétiens tués à cause de leur foi en 2020, selon un rapport
Résultat: représentants un quart de la population totale du Moyen-Orient en 1914, les chrétiens d’Orient ne sont aujourd’hui plus que 5%. Et pourtant, souligne l’ancien chef de mission Syrie, sans l’intervention russe et la présence des milices iraniennes, leur sort aurait été encore plus sombre. En effet, la Russie assure son rôle historique de protectrice des chrétiens et l’Iran, pour des raisons démographiques évidentes, tente de nouer des alliances avec les minorités religieuses.

Entre l’enclume de l’islam politique et le marteau du terrorisme, les chrétiens d’Orient tentent désespérément de survivre sur la terre de leurs ancêtres. Soumis en période de paix et assimilés à l’ennemi en période de guerre, ils n’ont de cesse de chercher une posture conciliante qui puisse leur permettre de vivre leur foi en paix.

L’équilibre précaire avec les musulmans

Malgré cela, les stigmates de la guerre ont bouleversé l’équilibre préétabli entre chrétiens et musulmans au Moyen-Orient. Partout dans la région, on assiste à une libanisation des sociétés. Chaque groupe communautaire va s’organiser pour tenter d’assurer sa propre survie. Les chrétiens ont aujourd’hui le mauvais rôle, souvent assimilé à l’Occident en raison de leur appartenance confessionnelle, ils sont voués à la soumission et à la discrétion. Comme le précise Alexandre Goodarzy, les chrétiens se sentent lésés:

«Auparavant, les chrétiens ne revendiquaient pas leur appartenance confessionnelle, il y avait une prédominance de l’arabité. Aujourd’hui, en raison de la guerre, ils ne croient plus au slogan panarabe. Ils se sentent littéralement trahis et sont finalement voués à être des citoyens de seconde zone s’ils décident de rester.»

Les chrétiens d’Orient estiment qu’ils ne peuvent pas compter sur des gouvernements, qui feront automatiquement le jeu de la majorité musulmane. Ils doivent finalement s’organiser politiquement pour espérer survivre. La guerre a effacé ce qui restait du panarabisme. L’islam politique a pris le dessus et les chrétiens doivent se contenter du statut de dhimmis, c’est-à-dire de citoyen de seconde zone dans les pays pratiquant la charia.

Un avenir entre exil et misère

Dans ces conditions, pour certains, la route de l’exil vers l’Occident semble être la meilleure solution. Ceux qui restent doivent faire face à la menace djihadiste toujours présente, mais surtout à la dureté de la vie quotidienne. En raison des sanctions américaines, la vie en Syrie est difficile. Les produits de première nécessité sont onéreux, les habitants ont du mal se chauffer pendant l’hiver et l’essence se fait de plus en plus rare. Cette guerre économique imposée est le résultat d’un échec politique cuisant. N’ayant pas réussi à évincer Bachar el-Assad à l’occasion des «Printemps arabes», les sanctions rappellent que Washington peut à sa guise asphyxier économiquement un pays.

«De nombreux chrétiens regrettent de ne pas avoir quitté le pays quand ils en avaient l’occasion. Comme sous Saddam Hussein dans les années 90, les sanctions américaines visent à appauvrir le peuple pour que ce dernier se retourne contre son propre gouvernement. Il est donc à craindre une guerre d’usure dont les chrétiens risquent de payer le prix fort.»

Le sectarisme politique, la menace terroriste sunnite et les politiques occidentales marginalisent la communauté chrétienne. Aujourd’hui plus que jamais, les chrétiens d’Orient doivent se restructurer politiquement et économiquement et mettre en avant leurs particularismes s’ils ne veulent pas être définitivement considérés comme les oubliés de l’Histoire orientale.

 

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