Après la mort de cinq soldats français au Sahel en décembre et la blessure de six autres ce 8 janvier, la pression monte sur les décideurs politiques en France. Le sentiment anti-français est répandu au sein des populations de la région sahélienne. Côté Hexagone, un récent sondage Ifop démontre qu’un Français sur deux désapprouve l’opération française au Mali, héritage de François Hollande.
Après sept ans de présence française sur place, la situation sécuritaire régionale ne semble pas s’être améliorée. Bien au contraire! Les forces françaises et régionales font désormais face à une myriade de groupes qui se battent sous différents étendards, sur un territoire vaste comme dix fois la France. Mais qui sont réellement ces djihadistes, combattants de l’ombre, que la France et les armées locales ont tant de mal à neutraliser?
Rivalités djihadistes
Les djihadistes sahéliens sont scindés en deux groupes principaux: ceux qui ont prêté allégeance à Daech* et ceux qui ont prêté allégeance à Al-Qaïda*. Ce à quoi il faut ajouter quantité de groupes plus ou moins indépendants qui sévissent également dans la région.
Il faut distinguer trois entités djihadistes différentes au Sahel, nées du chaos successif à une rébellion touareg en 2012:
«D'un côté, ce qui est devenu l'État islamique* au Grand Sahara (EIGS), de l'autre, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), qui entretiennent des rapports de rivalité et de coopération en même temps», explique Michel Goya, ancien colonel et spécialiste en analyse des conflits pour L’Express. Ce à quoi il faut ajouter plusieurs katibas (unité ou camp de combattants en Afrique du Nord ou dans le Sahel).
AQMI* puis GSIM
Formé le 1er mars 2017, le GSIM est né de la fusion de plusieurs katibas, dont Al-Qaïda* au Maghreb islamique. Il regroupe les différentes katibas de la région qui ont prêtées allégeance à Al-Qaïda*. On y retrouve par exemple la katiba Macina, commandée par Amadou Koufa, la katiba Al-Mourabitoune, commandée par Mokhtar Belmokhtar, ou encore la katiba du Gourma, naguère commandée par Al-Mansour Ag Alkassim, tué en novembre 2018.
Cette constellation de groupes djihadistes réunis sous la bannière d’Al-Qaïda* se distingue essentiellement de ses concurrents de l’EIGS par leur philosophie guerrière, leur mode d’action et leur localisation.
«Le GSIM est un groupe qui, de par son mode d’opération, est, au Mali en tout cas, vu d’un meilleur œil que l’EIGS. Ses membres ne s’attaquent pas aux populations locales, ne prennent pas d’otages locaux et sont plutôt dans une politique de séduction des populations», explique au micro de Sputnik le politologue malien Séga Diarrah.
Le GSIM est un groupe plutôt local, surtout résident et actif au Mali, dans le Nord plus précisément. D’après le spécialiste de la région, l’organisation est engagée dans la lutte politique. Elle essaye de gagner les esprits et les cœurs des locaux.
«L’EIGS, c’est tout le contraire du GSIM dans la région en termes stratégiques»
Malgré toutes leurs bonnes intentions vis-à-vis des populations locales, ceux-ci demeurent tout de même des djihadistes. Ils ont une vision moyenâgeuse de la société, bien qu’elle paraisse moins violente que celle de l’EIGS.
Ce dernier est né pour sa part en 2015 sous la tutelle d’Adnane Abou Walid al-Sahraoui, ancien membre du Front Polisario, puis de la mouvance djihadiste Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI)*. Plus précisément, le groupe a vu le jour à la suite de l'allégeance d’Abou Walid al-Sahraoui, à l'État islamique*. En mars 2019, l'État islamique* dans le Grand Sahara intègre l'État islamique* en Afrique de l'Ouest à ses rangs, et devient rapidement l’ennemi numéro un de la France dans la région.
«La priorité, c'est l'État islamique* du Grand Sahara» (EIGS), déclarait Macron devant ses alliés sahéliens rassemblés en sommet à Pau (sud-ouest de la France) en janvier 2020.
En effet, l’EIGS se caractérise par une action particulièrement violente dans la région. Qu’il s’agisse de populations locales ou non lui importe peu.
«L’EIGS, c’est tout le contraire du GSIM dans la région en termes stratégiques. Ils prennent des otages locaux, n’hésitent pas à violenter les populations locales», explique le politologue.
Ce dernier, également auteur de Mali, il est temps de décider: réflexion et propositions pour une modernisation des institutions et le retour d’une paix durable au Mali (paru en 2015), rappelle que beaucoup de combattants de l’EIGS ne sont d’ailleurs «pas maliens».
«Le groupe se situe plutôt dans la zone des trois frontières, dans l’Est malien. Leur objectif est l’imposition et l’expansion en Afrique du califat proclamé par l’État islamique*, ce qui est complètement différent des objectifs du GSIM.»
Malgré ces divergences, leur distanciation géographique dans le Sahara fait qu’ils n’ont pas d’occasions de se combattre: «Il n'y a pas d'affrontements entre eux du fait de cette répartition. D'autant que d'autres groupes djihadistes non affiliés, des katibas, font tampon entre les deux au centre du pays. Au contraire, il y a plutôt des jeux d'alliances temporaires en fonction des intérêts de chacun», détaille pour L’Express Stéphane Kenech, reporter indépendant, spécialiste des mouvements djihadistes.
La force Barkhane et les armées locales doivent donc faire face à de multiples ennemis aux modes d’actions tout à fait différents.
* Organisation terroriste interdite en Russie.