À Paris, devant le Ministère du Travail, une cinquantaine de manifestants bravent un temps maussade à coups de slogans: «Madame la Ministre, notre avenir est sinistre», ou: «L’État aveugle, sourd et muet.» Dans la petite foule, on retrouve des visages familiers. Ce n’est pas étonnant, puisque la situation des intermittents de l’emploi n’a pas changé depuis presque un an. Inlassablement, ils alertent sur la «mort sociale programmée» des extras et contrats courts.
Xavier Chergui est maître d’hôtel. Il s’estime presque privilégié puisque, après avoir travaillé en été, il a «un peu rechargé ses droits». Ce qui ne lui fait pas oublier un passage à vide en mars 2020: «J'étais au RSA.»
«Aujourd’hui, on dénonce les mesures annoncés par Élisabeth Borne [pour soutenir les permittents, ndlr]: un plafond de 900 euros sous condition de 138 jours de travail en 2019. Elle parle d’équité, mais je ne suis pas un chômeur, je suis un bosseur», clame Xavier Chergui.
Ce maître d’hôtel ne voit guère de différence entre le RSA de 875 euros –«pour la famille de quatre personnes»– qu’il percevait et les 900 euros promis par le ministère.
«J’ai appris dernièrement qu’il y a eu trois suicides parmi les extras de l’événementiel. Et s’il y a un troisième confinement, comment faire?» déplore Xavier.
Le tourisme d’affaires au ralenti, les fêtes privées interdites, les cérémonies en petit comité… depuis le début de la pandémie, les maîtres d’hôtel et les cuisiniers employés en CDD d’usage (le contrat des extras) encaissent coup dur sur coup dur. Ils ont plongé, en quelques mois, dans la précarité.
Les inégalités se creusent
Au côté des manifestants, Mathilde Panot, députée La France insoumise du Val-de-Marne, appelle à «ne pas baisser les bras» et à continuer, parce que «le gouvernement est en train de préparer de nouveaux mauvais coups».
«Jusqu’à quand va-t-on accepter que les gens vivent avec 400-500 euros? La délégation va dire [à la ministre, ndlr] que nous ne voulons pas des miettes, nous voulons des droits, pour que tout le monde puisse vivre dignement. Je vous garantis qu’il y a largement assez de richesses dans le pays pour l’assurer», déclare la députée.
En novembre dernier, Véronique Fayet, présidente du Secours catholique, a déclaré: «La France franchira la barre des dix millions de pauvres en 2020.» Autre chiffre alarmant, la Caisse nationale d'allocations familiales a annoncé début décembre: «La barre des 2 millions de bénéficiaires du RSA aurait été franchie.»
En revanche, le nombre des Français ultra-riches a augmenté de 11% entre 2018 et 2019, alors que la moyenne européenne est de 8,7 %. Ce qui place le pays à la cinquième place du palmarès mondial.
La rencontre au ministère sans résultat tangible
Il ne cache pas son amertume devant le refus du ministère de suivre une proposition formulée en novembre dernier dans les rangs de la majorité. Le député Jean François Mbaye (LREM) avait fait une proposition de loi plus en ligne avec les vœux de la Coordination: sur la base des deux dernières années, «aligner» les intermittents de l’emploi sur les salariés permanents pour leur assurer 84% des revenus.
«Cette proposition de loi est torpillée et enterrée, puisque le ministère a déclaré qu’“elle n’était pas à l’ordre du jour”. Elle ne peut même pas être discutée, parce que le gouvernement risquerait d’émettre un avis défavorable sur une proposition d’un membre de sa majorité», souligne Samuel Churin.
Néanmoins, le membre de la Coordination compte «essayer de la faire proposer à travers les députés d’opposition», s’attendant quand même à essuyer un refus.
Il dénonce également l’approche adoptée par le gouvernement «de prendre comme référence des revenus l’année 2019, plombée» par le mouvement des Gilets jaunes et les grèves. «Ils devraient prendre une années 2018, une année de croisière normale. Et non l’année où la fréquentation touristique a fortement diminué, devant les images des Champs-Élysées qui brûlent», conclut Samuel Churin.