État d’urgence sanitaire prolongé d’un an: le gouvernement «drogué» aux «mesures liberticides»?

Un projet de loi visant à prolonger l’état d’urgence sanitaire sera déposé la semaine prochaine. La sortie de crise pourrait ainsi être repoussée au 31 décembre 2021. Le gouvernement chercherait-il un nouveau moyen légal de pérenniser l’état d’urgence sanitaire? L’avocat Thibault Mercier fait part à Sputnik de ses inquiétudes.
Sputnik

À peine révélé, il fait déjà polémique. Mercredi 13 janvier, le gouvernement présentera en Conseil des ministres un projet de loi visant à prolonger d’une année supplémentaire l’état d’urgence sanitaire.

Devant initialement prendre fin le 16 février 2021, ce cadre législatif d’exception serait dans un premier temps maintenu dans sa forme actuelle jusqu’à l’été. Un régime transitoire prendrait alors la suite jusqu’au 31 décembre. Une prolongation inégalée depuis le début de l’épidémie du Covid-19 en France.

L’information, divulguée par Libération, arrive dans un contexte d’exaspération et de crise sociale. Le 7 janvier, Jean Castex douchait les espoirs des restaurateurs, des propriétaires de bars et de salles de sport, le Premier ministre reportant une fois de plus leur réouverture. Alors qu’on leur avait fait miroiter la date du 20 janvier, leurs portes resteront closes jusqu’à la mi-février «a minima». Aucune date précise de sortie crise pour les professionnels du secteur et –plus largement– le reste du pays ne pointe donc à l’horizon. Désormais, la possibilité d’une fermeture de ces commerces jusqu’au 31 décembre n’est plus de l’ordre de la dystopie.

Un gouvernement «drogué» à l’état d’urgence

Instauré le 23 mars 2020, l’état d’urgence sanitaire a été prolongé à plusieurs reprises par l’Assemblée nationale: dernière en date, la loi du 14 novembre le proroge jusqu’au mois de février. Un cadre juridique qui a permis au pouvoir exécutif de prendre des mesures exceptionnelles afin d’endiguer la circulation du virus. Assignation à résidence, couvre-feux, interdiction d’ouverture de commerces, limitation et interdiction de la liberté de circulation… autant de restrictions des libertés individuelles que le gouvernement pourrait appliquer à sa guise une année encore.

​Une annonce «très grave», selon Me Thibault Mercier, avocat et cofondateur du Cercle Droit et Liberté. Elle révèlerait au grand jour un pouvoir exécutif «quasiment drogué» à l’état d’urgence sanitaire et ses «mesures liberticides».

«Cet état d’urgence permet au gouvernement de diriger par décrets et ordonnances, c’est-à-dire sans consultation démocratique, ajoute l’avocat au micro de Sputnik. Avec ce prolongement, il pourra continuer à mener le pays sans passer par la consultation du Parlement et du peuple.»

Le Premier ministre justifie ces restrictions aux libertés par la gravité de la crise sanitaire qui frappe le pays. Le taux de contamination affleure les 20.000 cas par jour, et près de 67.000 morts sont aujourd’hui comptabilisés.

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Thibault Mercier estime quant à lui que le rôle de l’état d’urgence est de faire face à une situation qui «met en péril la survie de l’État ou du pays», ce qui n'est «plus du tout le cas» à ses yeux. Mieux vaudrait donc, selon notre interlocuteur, donner «plus de moyens aux hôpitaux» plutôt que «porter sans cesse atteinte aux libertés individuelles».

Si le projet de loi était adopté, l’état d’urgence sanitaire passerait néanmoins la main à un régime transitoire du mois de juin jusqu’à la fin de l’année 2021. Un «état d’urgence sanitaire» qui ne dit pas son nom, selon Thibault Mercier. Dans un tel cadre, le Premier ministre disposerait toujours d’une marge de «manœuvre très large», notamment par la prise de décrets.

Pérenniser l’exception, le vrai projet du gouvernement?

Bien sûr, l’accusation de profiter de la crise sanitaire pour poursuivre une «dérive autoritaire» n’est pas neuve. Elle a néanmoins pris une nouvelle ampleur au mois de décembre dernier, lorsque le projet de loi visant à instituer «un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires» a été présenté en procédure accélérée en Conseil des ministres.

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Pour stabiliser l’état d’urgence actuel, le gouvernement entendait instaurer un cadre législatif nouveau «dotant les pouvoirs publics des moyens adaptés», afin de faire face aux «situations sanitaires exceptionnelles». Un «régime de crise sanitaire», calqué sur l’état d’urgence sanitaire actuel, mais auquel auraient été ajoutées toutes les mesures restrictives prises depuis le mois de mars. Le projet de loi prévoyait également de confier au Premier ministre la possibilité de «subordonner les déplacements de personnes» et «l'exercice de certaines activités» à la preuve de «l'administration d'un vaccin». La crainte de voir l’instauration d’un «passeport sanitaire» fut telle que le ministre de la Santé avait dû se rendre sur TF1 pour répondre à la polémique:

«Ce texte n’a pas du tout vocation à envisager la vaccination obligatoire contre le coronavirus, avait voulu rassurer Olivier Véran. Le gouvernement ne le proposera pas devant le Parlement avant plusieurs mois, avant d’être sorti de la crise».

Un prolongement de l’état d’urgence sanitaire jusqu’à la fin de l’année pourrait bien remettre le feu aux poudres. D’aucuns pourraient y voir un moyen pour l’exécutif de renouveler son projet de pérennisation d’une situation exceptionnelle par d’autres voies.

​Le projet de loi devra néanmoins passer par la case Parlement. Ce qui devrait relever de la formalité, selon Thibault Mercier, la Chambre des députés étant devenue «une chambre d’enregistrement» du pouvoir exécutif. Et l’avocat de conclure avec pessimisme qu’il est peu probable que «la majorité parlementaire décide d’aller contre ce projet».

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