L’exécutif fait appel au cabinet McKinsey pour la vaccination: l’appareil d’État à la mode anglo-saxonne

Depuis début décembre, l’État français recourt aux services de deux cabinets de conseil étrangers pour sa campagne de vaccination. Une partie de la classe politique parle déjà de «scandale d’État». Mais cette pratique témoigne surtout de l’inefficacité de l’exécutif, selon l’essayiste Olivier Babeau.
Sputnik

Une pierre de plus dans le jardin de la campagne de vaccination du gouvernement. Déjà très décrié pour sa lenteur, l’exécutif essuie une nouvelle polémique avec les révélations du site américain Politico et du Canard enchaîné ce mardi 5 janvier. Depuis début décembre, la France fait ainsi appel au cabinet de conseil américain McKinsey afin de l’aider à déployer sa stratégie de vaccination sur le territoire. L'information a été confirmée par le ministère de la Santé auprès de l’AFP ce mercredi 6 janvier.

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Selon cette source, le cabinet américain «est rattaché à la “task force” vaccination du ministère de la Santé et collabore sur la stratégie et la logistique». Il s’agit pour McKinsey de «définir le cadre logistique», d’«établir des comparaisons» avec les autres pays et de «soutenir la coordination opérationnelle». Europe 1 ajoute par ailleurs que le cabinet britannique PricewaterhouseCoopers serait lui aussi rétribué sur les deniers du contribuable pour son intervention dans le même dossier.

«Scandale d’Etat»

La classe politique, gauche et droite confondues, n’a pas manqué de s’indigner à l’annonce de la nouvelle. On a un «aveu d’impuissance» de l’exécutif pour Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, voire un «scandale d’Etat» pour l’eurodéputé (EELV) Yannick Jadot.

L’essayiste Olivier Babeau, professeur en sciences de gestion et président de l’institut Sapiens, tempère: «C’est assez banal pour l’État d’avoir recours à des cabinets de conseil.» En 2018, le gouvernement d’Édouard Philippe lançait déjà un appel d’offres, remporté par le cabinet d’avocats anglo-américain Dentons, afin de rédiger le projet de loi d’orientation des mobilités. «L’État n’a pas toujours les bonnes expertises à sa disposition», décrypte Olivier Babeau pour Sputnik. «Il a donc tout intérêt à “louer” ces expertises plutôt que de les acheter, car cela serait trop coûteux», poursuit notre interlocuteur.

Un «problème systémique»

Ce dernier pointe néanmoins les «problématiques» soulevées par cette sous-traitance à des entreprises privées. Le procédé trahit, de la part de l’État, une «incapacité à se moderniser et à être efficace». Le risque serait ainsi que la puissance publique recule sur la prise en main des sujets complexes, qui nécessitent un haut niveau d’expertise, au profit du privé.

«Cette crise révèle que le “bateau France” est plutôt fait pour une mer de temps calme, pour une époque révolue avec peu de ruptures technologiques. Nous n’avons plus un appareil d’État adapté à un monde où il faut être ultra-réactif, dans lequel il ne faut plus penser en termes de procédure, mais de résultats», déplore ainsi Olivier Babeau au micro de Sputnik.

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De là à dire que le problème vient de la formation des élites françaises, dépassées par les événements? «Il y a ce biais propre à nos hauts fonctionnaires qui est qu’on s’intéresse assez peu à la mise en œuvre, considérée comme un peu vile: la décision est censée ruisseler d’elle-même jusqu’à l’opérationnel», relève Olivier Babeau, auteur de L'horreur politique: l'État contre la société (Ed. Les Belles Lettres).

Les erreurs dans la gestion de la crise sanitaire découleraient donc davantage d’approximations d’ordre administratif et technique, si l’on en croit cet ancien conseiller ministériel auprès de François Fillon. «La France pèche par son manque de capacité à anticiper, mais ce sont moins les gens qu’il faut accuser que l’organisation en elle-même: le problème est en réalité systémique.»

Risque de conflit d’intérêts

Aux États-Unis et en Angleterre, cette pratique est d’ailleurs courante. À tel point que certains textes de loi sont parfois rédigés par des cabinets privés. Si la France n’en est pas encore là, l’influence se fait donc de plus en plus sentir.

«D’une certaine manière, on a le moins bon des deux modèles. On garde la très grande lourdeur de notre administration, mais on y ajoute les consultants. Il faudrait choisir entre une administration très efficace, qui n’a besoin de personne, et une administration minimaliste, qui fait intervenir des prestataires», résume Olivier Babeau.

Enfin, le risque est celui de la collusion et du conflit d’intérêts, toujours très présent lorsque public et privé se voient associés. Le représentant de McKinsey auprès du gouvernement n’est autre que l’ancien conseiller économique d’Alain Juppé, Maël de Calan, lequel se déclarait «Macron-compatible» dans L’Obs en 2017. Conseiller départemental dans le Finistère, il est aussi associate partner pour le cabinet américain. Le directeur associé du bureau parisien étant… Victor Fabius, l’un des fils de l’ancien ministre socialiste Laurent Fabius.

Le choix de McKinsey par l’exécutif n’est donc peut-être pas totalement dû au hasard. Lors de la campagne présidentielle de 2017, plusieurs cadres importants de McKinsey avaient contribué à l’élection d’Emmanuel Macron… Certains comme Mathieu Maucort, ancien chef de projet chez McKinsey, responsable argumentaire et riposte en 2017 chez En Marche, est ensuite devenu le directeur de cabinet de Mounir Mahjoubi au secrétariat d’État au numérique.

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