L’article du Monde sur la nécessité d’une réflexion sur «la prise en compte de la diversité» ethnique au sein de l’Opéra de Paris a été comme un pavé jeté dans la mare d’un milieu culturel ankylosé par les grèves et les confinements à répétition.
Ceux qui se sont «étonnés» de la proposition d’Alexander Neef, directeur de l’Opéra fraîchement nommé, de faire disparaître du répertoire «certaines œuvres», ont étés critiqués à leur tour.
Essayant de mettre un point final à cette polémique, l’Opéra s’est expliqué, affirmant que «Noureev ne sera pas supprimé du répertoire de l’Opéra, a confirmé le directeur». En revanche, le même directeur réfléchit à mener une «rénovation profonde, pour que dans dix ans, les minorités soient mieux représentées à l’Opéra.»
Quand «la question raciale» s’invite à l’Opéra de Paris
Une démarche qui s’appuie sur un manifeste intitulé «De la question raciale à l’Opéra national de Paris», signé par 400 membres du personnel en octobre dernier.
La «réflexion» ne date donc pas d’hier et Jean Tardif, essayiste québécois, auteur de Les enjeux de la mondialisation culturelle (Éd. Le Bord de l’eau), souligne au micro de Sputnik que «ces questions ne peuvent faire abstraction du rôle de la culture comme matrice de toute société.»
«La capacité de socialisation est ébranlée [par l’immigration, ndlr], d’où le problème de sécurité culturelle. Les gens sont inquiets devant la montée des revendications de chaque groupe voulant garder sa matrice originelle. Ça pose un problème général dans les sociétés ouvertes.»
Pour l’essayiste, même si la question soulevée à l’Opéra de Paris concerne un théâtre national, elle ne peut pas être «décryptée» en dehors d’une vision globale de la mondialisation. Conclusion: «la culture n’est pas forcément nationale», assure l’essayiste et cite pour l’exemple «les» cultures du Québec, anglaise et française. «Il y a une sorte d’abus de langage quand on parle de “culture nationale”», qui –quand on n’en tient pas compte– fait accentuer les revendications de ceux qui «veulent s’attacher à leur culture d’origine.»
«On croit qu’il suffit faire référence à la République pour que ça marche. Mais on voit que ça ne fonctionne pas à l’heure actuelle», assure Jean Tardif.
«Nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants», écrivit Bernard de Chartres. On découvre qu’actuellement les «géants» de l’Antiquité européenne rencontrent d’autres «géants» venus d’ailleurs.
En quête de l’«universalisme pluriel»
«l’opéra, par exemple, n’est pas un art africain (même s’il existe des traditions musicales fortes en Afrique). Vouloir contester cela sous prétexte que ce n’est pas représentatif et ouvert à la diversité est nier une sorte de la réalité historique et le cheminement historique de l’Humanité», assure l’essayiste.
Chaque culture essaye d’imposer «ses symboles» pour exprimer les sentiments humains sur scène, tous les mythes «représentent la façon de rendre compréhensibles les aspects qui gouvernent la vie humaine, parfois contradictoires.» Ce qui n’exclut pas l’équilibre constant entre les avantages et les difficultés «de travailler dans des cultures différentes.»
«Chaque culture fait un effort pour atteindre l’universel. Dans le domaine de l’opéra, ça demande des efforts pour ceux qui ne viennent pas de cette mouvance historique. Chaque œuvre reflète la période à laquelle elle a été composée, avec l’univers de son temps», plaide Jean Tardif.
L’essayiste cite Pierre Hassner, le philosophe, qui a proposé la notion d’«universalisme pluriel». «Alors qu’en France on parle d’“universel” comme si c’était unique. Non, c’est comme la vérité, c’est une quête permanente», estime l’essayiste. La France n’est pas la seule à être la proie du débat autour de «l’inclusivité». L’orchestre philharmonique de Vienne, après avoir été accusé de «conservatisme» et fustigé pour son retard dans la parité homme-femme, voit une nouvelle polémique entrer en scène: celle de la parité ethnique.