En pleine euphorie depuis des mois, la Bourse de New York a terminé l’année sur de nouveaux records. La tempête du mois de mars n’est plus qu’un lointain souvenir et les indices US tutoient des sommets. Le Dow Jones a ainsi atteint un plus haut historique à 30.606,48 points.
Le S&P 500 et le Dow Jones Industrial Average ont terminé l'année 2020 avec de nouveaux records jeudi, clôturant l'une des années les plus tumultueuses de la mémoire récente.
L'indice élargi S&P 500 a fait de même en se calant à 3.756,07 points. Du côté du Nasdaq, indice à forte dominante technologique, on a terminé l’année à 12.888,28 points, à dix points du précédent record. «Si, pour "Main Street" [le grand public, ndlr], l'année a été horrible, pour Wall Street, elle a été fantastique», a lancé Patrick O'Hare de Briefing.com au micro de l’AFP.
Les vaccins, mais pas que
Ces performances ont de quoi interroger dans un contexte économique plus que difficile aux États-Unis. Le taux de chômage était de 6,7% en novembre contre 3,5% avant la pandémie. En tout, environ 20 millions de personnes sans emploi ou sans revenu percevaient toujours une aide au cours de la semaine achevée le 12 décembre.
«La situation économique aux États-Unis est toujours très compliquée», rappelle au micro de Sputnik Charles Gave, financier et président de l’Institut des libertés.
Les États-Unis sont confrontés à un regain spectaculaire de l’épidémie de Covid-19 depuis l’automne. Ils devraient encore connaître des mois difficiles en 2021. Face à l’urgence sanitaire, de nombreux États et de nombreuses villes ont restreint l'activité. Notamment celle des bars et restaurants, les obligeant à ne servir qu’en extérieur, malgré les températures hivernales.
En dépit du contexte, les marchés US ont continué de surperformer. L’une des explications avancée par les spécialistes est celle de l’arrivée de vaccins supposés efficaces contre le Covid-19. Actuellement, environ 4,2 millions de personne ont reçu une première dose d’un des deux vaccins autorisés aux États-Unis, à savoir ceux de l’alliance américano-allemande Pfizer/BioNTech et de Moderna.
«La Bourse a très bien marché en 2020 parce qu'elle anticipe la reprise de 2021» avec l'arrivée des vaccins contre le coronavirus, un retour espéré de la confiance des consommateurs et le soutien des plans de relance à travers le monde, a confié à l’AFP Patrick O'Hare.
«Cela a joué mais je pense que l’explication est ailleurs», analyse pour sa part Charles Gave. «Il faut faire attention quand l’on évalue les marchés. Si vous mesurez les performances des indices US en euros ou en yuans, elles sont inférieures à celles qu’elles étaient il y a quelques mois», explique l’expert. La faute selon lui à la baisse du dollar.
«Comme beaucoup de profits américains sont réalisés à l’étranger, cela les fait monter. Mais c’est ce que l’on appelait quand j’étais jeune "une hausse de misère". La Bourse monte parce que la monnaie baisse», explique le spécialiste de la finance, avant d’ajouter: «Une vraie hausse se manifeste quand la Bourse et la monnaie montent en même temps.»
La valeur du billet vert se trouve affaiblie par la politique monétaire ultra souple de la Réserve fédérale (Fed). Vers 11 heures ce 4 janvier, le dollar perdait 0,66% face à l'euro à 1,2296 dollar pour un euro. Encore plus révélateur, le dollar index, indice qui compare la monnaie américaine avec un panier de grandes devises, évoluait à son plus bas niveau depuis deux ans et demi.
Des perspectives «épouvantables» sur la monnaie
Déjà habituée des politiques monétaires non conventionnelles depuis la crise de 2008, gérée à grands coups de programmes de rachats d’actifs (quantitative easing), la Banque centrale américaine inonde les marchés de liquidités depuis le début de la pandémie. Le tout dans un contexte où les taux d’intérêts sont proches de zéro.
Dès le mois d’avril, elle annonçait un vaste programme de soutien d’un montant pouvant atteindre 2.300 milliards de dollars. En décembre, le patron de la Fed, Jerome Powell, informait que l’institution qu’il dirige pourra accroître encore son soutien, si la situation l’exige. «Nous continuons de penser que la politique actuelle est appropriée», mais «nous avons la flexibilité pour fournir davantage de mesures accommodantes... Et nous sommes conscients que les circonstances pourraient évoluer», a-t-il expliqué. La Fed achète actuellement pour 120 milliards de dollars d'actifs par mois, dont 80 milliards de bons du Trésor et 40 milliards de MBS (produits financiers adossés à des prêts immobiliers).
Charles Gave souligne que «la quantité de monnaie a doublé depuis deux ans aux États-Unis, comme en Europe, d’ailleurs». D’après lui, les investisseurs s’inquiètent de la valeur de leurs obligations ou de la probabilité que leur immobilier se fasse taxer. La fuite devant la monnaie les conduit donc à acheter des actions.
«Le marché monte non pas parce que les perspectives économiques sont bonnes, mais parce que celles de la monnaie sont épouvantables. Une action Google fait alors office de valeur refuge», explique-t-il.
Le président de l’Institut des libertés affirme que tout prix dans un système capitaliste dépend du taux d’intérêt, pour la relation avec le temps, et du taux de change, pour la relation avec la géographie. «Les Banques centrales contrôlent aujourd’hui les deux. Il n’y a donc plus de prix de marché. Aucun prix dans le monde n’a aujourd’hui de signification, y compris celui des actions», prévient-il.
Et l’avenir s’annonce opaque selon Charles Gave:
«Nous sommes aujourd’hui dans le brouillard le plus total. Personne ne peut faire de raisonnement rationnel concernant la valorisation de quoi que ce soit. Ce que l’on peut dire, c’est que la monnaie risque de ne plus rien valoir du tout et qu’il est sage de l’échanger contre un actif qui vaudra quelque chose à la fin.»