Le maréchal Khalifa Haftar, leader politique et militaire de l’est libyen, est-il en passe d’être isolé? Principal allié international du maréchal, l’Égypte a envoyé ce dimanche 27 décembre une délégation de haut rang à Tripoli pour la première fois depuis six ans, pour discuter directement avec le Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj.
Selon la diplomatie libyenne de l’ouest, cette visite vise à maintenir le cessez-le-feu en vigueur depuis fin octobre et à normaliser les relations diplomatiques entre le gouvernement de Tripoli, reconnu par les Nations unies, et Le Caire. Cette normalisation passerait, dans un premier temps, par le rétablissement des liaisons aériennes entre Le Caire et Tripoli puis par le lancement de projets de coopération, notamment sécuritaires.
Tournant géopolitique?
Au-delà de la dialectique diplomatique, cette visite constitue une démarche chargée en symbolique. En juillet dernier, le Parlement égyptien donnait son feu vert à une intervention militaire en Libye en soutien du camp Haftar. Hier, les officiels égyptiens ont annoncé que leur ambassade à Tripoli pourrait rouvrir «le plus tôt possible», six ans après sa fermeture.
L’Égypte a, jusqu’ici, soutenu sans ambiguïté le camp du maréchal Haftar. Ce soutien était justifié par la lutte contre le terrorisme et la mouvance des Frères musulmans*, bannie du champ politique égyptien par le gouvernement d’Abdel Fattah al-Sissi. Cette visite apparaît donc comme une surprise. Certaines sources affirment que Le Caire aurait souhaité que cette initiative n’ait pas un grand écho médiatique.
De surcroît, l’événement se produit dans un contexte politico-militaire tendu. La semaine dernière, Khalifa Haftar a appelé à «chasser l’occupant» turc, soutien du gouvernement d'entente nationale (Government of National Accord, GNA) de Fayez el-Sarraj. Il a déclaré qu’il n’y aurait «pas de paix en présence d’un colonisateur sur nos terres».
Le GNA contourne Haftar
Une attaque à laquelle le ministre turc de la Défense nationale, Hulusi Akar, en visite à Tripoli la veille de la visite de la délégation égyptienne, a répondu en des termes fermes:
«Le criminel de guerre, le meurtrier qu'est Haftar et ses forces doivent savoir qu'ils seront considérés comme des cibles légitimes en cas d'attaque contre les forces turques.»
«S'ils franchissent ce pas, ils ne pourront trouver aucun endroit pour fuir. (...) Tout le monde devrait revenir à la raison», a-t-il ajouté lors d'une conférence de presse. Une joute verbale guerrière qui fait craindre la fin du cessez-le-feu signé en octobre dernier et un retour de la violence.
La visite de cette délégation tend à remettre en question cette crainte. À la fin de l’été, le GNA avait déjà entamé des discussions avec Le Caire en y envoyant une délégation. Saad Benshrada, membre de la délégation du GNA et responsable au haut conseil de l’État en Libye (Sénat libyen), expliquait alors que cette visite découlait du statu quo militaire sur le terrain. Il assurait que les Libyens ainsi que la communauté internationale s’étaient rendu compte qu’aucune des parties ne pouvait dominer l’autre par la force et qu’il ne restait donc que le dialogue comme issue.
Impasse du Caire sur le soutien du GNA à l’islam politique?
Saad Benshrada espérait alors que «l’Égypte, au vu de ses relations avec le maréchal Khalifa Haftar et Aguila Saleh [président du Parlement de Tobrouk, dans l’est libyen, ndlr] puisse exercer des pressions sur eux afin de consolider le cessez-le-feu, reprendre la production pétrolière et accepter les résultats de toutes discussions entre Libyens à l’avenir».
Vu les échanges guerriers entre Haftar et Ankara, cet objectif n’est pour le moment pas atteint.
Au Caire, les réserves à l’égard du GNA et de son soutien turc ne se sont pas évaporées. Pour les autorités égyptiennes, le soutien de Tripoli et d’Ankara à des entités djihadistes et d’autres liées aux Frères musulmans* en Libye reste un point de discorde. Il faudra résoudre ce problème avant d’envisager une réelle normalisation des relations entre l’Égypte et le GNA.
Et comme l’affirmait au micro de Sputnik Myriam Benraad, chercheuse associée à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) et spécialiste du Moyen-Orient, «certains pays ont trop investi sur Haftar pour tout laisser tomber.»
En particulier l’Égypte...
*Organisation terroriste interdite en Russie.