Covid-19 en Afrique: un bilan contrasté

Les sinistres pronostics établis pour l’Afrique au début de la pandémie ne se sont heureusement pas produits. Cependant, si le bilan sanitaire est meilleur que prévu dans de nombreux pays, les conséquences économiques et humanitaires pèsent lourdement sur l’ensemble du continent. Leslie Varenne, directrice de l’Iveris*, fait le point pour Sputnik.
Sputnik

La situation sanitaire n’est pas homogène sur l’ensemble de l’Afrique. Certains pays, comme l’Afrique du Sud et le Maroc, sont plus touchés que d’autres, sans d’ailleurs que les scientifiques ne soient capables d’apporter de réponse claire sur cette différence de prévalence de la pandémie. Comme au Royaume-Uni, en Afrique du Sud, une nouvelle variante de coronavirus a été détectée et les contaminations grimpent en flèche. Des États comme le Mali et le Burkina Faso, qui avaient été assez peu touchés au printemps, connaissent également une situation plus délicate actuellement.

Si les populations sont légitimement inquiètes, la situation n’est cependant pas aussi alarmante qu’elle ne l’est dans certains pays européens. D’un strict point de de vue sanitaire, l’épidémie y a occasionné beaucoup moins de dommages qu’en Occident. Au 21 décembre, l’ensemble du continent totalisait 2,5 millions de contaminations –soit environ 3,5% des cas du globe– et 59.336 décès, presque autant qu’en France où l’on dénombre à la même date 60.549 morts du Covid-19.

Le miracle s’est produit

Dans le registre des nouvelles positives, il faut noter celle en provenance de Madagascar. Selon une étude scientifique diligentée par l’Institut Pasteur, 40% de la population aurait été en contact avec le virus, ce qui signifie que la grande île serait proche d’atteindre la fameuse immunité collective tant recherchée. Et ceci avec un nombre de décès extrêmement bas: 259 au total.

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On se souvient qu’au printemps dernier, beaucoup s’étaient moqués des déclarations du Président Rajoelina, et de son médicament miracle, le Covid Organics, au prétexte que s’il y avait si peu de décès à Madagascar, c’était tout simplement parce que le virus n’y circulait pas. Si rien ne dit que la potion magique gouvernementale ait eu un quelconque effet, il n’en reste pas moins que cette étude montre que le Covid-19 a été très présent dans ce pays sans pourtant y occasionner de graves pertes humaines.

Les scientifiques essaient toujours de comprendre les raisons de cette étonnante prouesse. Pour l’instant, le seul facteur probant reste la jeunesse de la population, mais il n’est probablement pas l’unique responsable. L’institut Pasteur continue son travail de recherche, il faudra encore patienter pour qu’il puisse recueillir des observations plus fines qui seront sans aucun doute très utiles pour comprendre les raisons de cette résistance africaine.  

Une explosion de la pauvreté

Cela étant, la pandémie a tout de même des conséquences délétères pour nombre de pays du continent. Selon un rapport de la Banque mondiale publié en octobre dernier, à cause du Covid-19, «la réduction de la misère a subi son pire revers depuis des décennies, après près d'un quart de siècle de déclin constant de l'extrême pauvreté dans le monde».

Toujours selon cette même source, le nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté devrait continuer à augmenter pour s'élever à 150 millions d'ici à 2021. C’est, bien entendu, dans les pays dits en voie de développement que ce phénomène est le plus violent car il vient se surajouter aux crises déjà existantes.

Au Burkina Faso, où il y a un million de déplacés internes dus à la situation sécuritaire, le coronavirus est venu empirer une crise humanitaire sans précédent. Selon l’Unicef, l’insécurité alimentaire y a augmenté de 225 % par rapport aux moyennes des cinq dernières années. Les autres États sahéliens ne se portent guère mieux: ce taux a progressé de plus 91% au Mali et de 77% au Niger.

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Les raisons de cette croissance exponentielle de la pauvreté et de cette insécurité alimentaire sont nombreuses: fermeture des frontières au début de l’épidémie, ralentissement de l’économie mondiale qui a fait chuter le cours de certaines matières premières comme le coton, hausse du prix des engrais qui a entraîné des pertes pour les agriculteurs… La mise à l’arrêt d’une partie des activités liées au tourisme, par exemple, a aussi engendré un bond du chômage dans des États qui ont peu de couverture sociale. De plus, le secteur informel –qui représente dans de nombreux pays africains plus de la moitié du PIB– a été durement touché.

À ces multiples fléaux, il faut ajouter l’impressionnant plongeon des sommes d’argent envoyées en Afrique par la diaspora résidant en France, les travailleurs étant eux aussi confrontés à une baisse de leurs revenus du fait de la crise sanitaire. Les montants des transferts ont chuté de 25%, selon une étude commandée par l’Agence française du développement. Ces fonds en provenance de l’étranger, tous pays confondus, sont pourtant essentiels à l’économie des pays africains. Ils représentent souvent plus de 10% du PIB de certains États et montent parfois à plus du tiers pour les plus pauvres.

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Enfin, la pandémie a aussi pesé sur le climat politique. Certains chefs d’État ont saisi l’opportunité du Covid-19 pour interdire les manifestations pendant les campagnes électorales. Au Mali, les autorités de la transition ont, pour tenter de freiner l’épidémie, décrété l’état d’urgence et pris des mesures qui ont créé l’émoi dans le pays. En effet, dans  une note publiée le 19 décembre adressée aux gouverneurs régionaux, le ministre de l’Administration territoriale précise qu’ils sont désormais habilités «à assurer le contrôle de la presse et des réseaux sociaux». Ils peuvent également avoir un regard sur toutes les correspondances privées. Tous les journalistes maliens ont dénoncé ces mesures et se sont montrés déterminés à «ne jamais accepter la remise en cause de la liberté de la presse».

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