«Tonton hitler ta oublier d’exterminer Miss Provence» (sic). Une insulte antisémite parmi tant d’autres, diffusées par dizaines ce week-end sur Twitter à l’adresse de Miss Provence, April Benayoum. Élue première dauphine au cours de la soirée Miss France, la jeune femme a mentionné ses origines italo-israéliennes lors du rapide portrait qui lui était consacré.
«Inadmissible», «insupportable», «ignoble», «immonde», la classe politique a été unanime, usant des mêmes qualificatifs pour condamner cette affaire de haine en ligne que les précédentes. Mais, au-delà de cette indignation, le sentiment de déjà-vu interroge sur l’incapacité des pouvoirs publics à mettre un terme à ce type de déferlement devenu habituel sur les réseaux sociaux.
Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'Intérieur, chargée de la Citoyenneté, annonçait avoir adressé «un signalement au procureur», appelant Twitter ce lundi sur BFM TV à prendre «ses responsabilités» devant des «tweets encore en ligne» quarante-huit heures après les faits. Depuis, une enquête a été ouverte pour «injures à caractère raciste et provocation à la haine raciale». La Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) a déclaré son intention de se rendre «devant la justice pour les twittos qui hier soir ont transformé Twitter en cloaque antisémite». Pour quelle efficacité?
«L’anonymat sur Internet n’existe pas»
Dans les jours qui ont suivi l’assassinat du professeur de Conflans-Sainte-Honorine, Samuel Paty, plusieurs élus, comme Xavier Bertrand ou Jean-Christophe Lagarde, s’étaient exprimés en faveur de l’interdiction de l'anonymat sur les réseaux sociaux afin de remettre de l’ordre dans ce «lieu d'impunité». Pour Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris, «chaque fois, c’est la même histoire». En effet, «les mêmes déferlements haineux» amènent immanquablement «les politiques» à sortir «la solution facile de l’anonymat de leur chapeau».
«L’anonymat sur Internet n’existe pas. Il n’a jamais existé, s’agace-t-il au micro de Sputnik. Il y a en France la loi de 2004 [loi pour la confiance dans l’économie numérique, LCEN, ndlr] qui règle ce problème. Derrière chaque internaute qui envoie un message, il y a une adresse IP. C’est comme une plaque d’immatriculation. Le même processus s’applique lorsqu’il y a une infraction routière et que la police regarde à qui correspond telle plaque. Sauf que, en l’occurrence, la justice doit voir avec le réseau social concerné.»
Le vrai problème: sur les réseaux sociaux, l’État serait encore un petit joueur
Or, pour Thierry Vallat, «le problème n’est pas là». Mobiliser cet argumentaire pour mettre fin à l’anonymat est une erreur. Selon lui, les opérateurs ne ferment pas la porte «aux demandes de la police pour communiquer les adresses IP», mais «encore faut-il les leur demander». Une démarche hypothétique «lorsqu’on n’est pas un people ou une personne connue». L’avocat au barreau de Paris voit dans la dénonciation de l’anonymat une manière de dissimuler le vrai problème, à savoir le manque de moyens mobilisés par l’État pour endiguer le déferlement quotidien de tweets haineux. Une «inaction» qui entérine la banalisation de ces propos et donc leur reproduction systématique. Thierry Vallat voit du positif dans deux éléments: la création du Parquet national du numérique, prévue par la loi Avia, et la plate-forme Pharos, qui permet aux internautes de signaler des contenus illicite. Mais «cela reste insuffisant» à ses yeux.
Passer sous les radars grâce à un VPN
En novembre, la sénatrice Laure Darcos interpellait Cédric O, le secrétaire d’État au Numérique. Elle préconisait «la présentation du scan d’une pièce d’identité» pour toute inscription d’un compte sur un site. Histoire de calmer les ardeurs des utilisateurs haineux. En réponse, Cédric O s’était livré devant le Sénat à une démonstration «de trois secondes» sur son smartphone: il s’était géolocalisé en Allemagne grâce à un réseau privé virtuel, dit VPN.