Mercredi 15 décembre 2020, l’entreprise de Mark Zukerberg a annoncé avoir supprimé trois réseaux de comptes supposément liés à la France, notamment à son armée, et à la Russie, pour leurs «comportements inauthentiques coordonnés» qui ciblaient des pays d’Afrique et du Moyen-Orient. Les deux pays n'ont pas commenté, ni confirmé les informations.
«Nous avons découvert cette activité dans le cadre de notre enquête interne sur des comportements inauthentiques coordonnés présumés en Afrique francophone. Bien que les personnes derrière ces comptes aient tenté de dissimuler leur identité et leur coordination, notre enquête a révélé des liens avec des individus associés à l'armée française», a précisé le responsable de la politique de sécurité de Facebook à propos du réseau français.
En tout, il s’agit, côté français, de 84 comptes, six pages, neuf groupes que Facebook a supprimés, ainsi que 16 profils Instagram. Le procédé se présente généralement de la façon suivante: à travers ces faux comptes, de faux habitants exprimaient leur soutien à l’armée française ou commentaient favorablement la politique française dans leur pays… en s’en prenant accessoirement à la Russie, l’accusant d’ingérence dans les élections en République centrafricaine.
Le spécialiste algérien en cybersécurité Abdelaziz Derdouri considère, pour sa part, que les accusations de Facebook envers la France sont graves car elles ciblent son armée.
«L’action des Français n’était pas très professionnelle car c’est leur armée qui est directement citée par la direction de Facebook. La source militaire a été identifiée, ce qui est très grave. C’est quand même étonnant de la part d’une armée qui s’est montrée maître dans la propagande et la désinformation, nous en savons quelque chose en Algérie puisque nous avons combattu contre elle.»
D’un autre côté, Facebook n’a pas pointé du doigt une institution officielle russe «mais une entreprise privée qui interviendrait pour différents clients dans le monde entier», a-t-il commenté. Il n'y a pas pourtant de confirmation officielle de l'existence d'une telle entreprise.
Pratique courante?
L’information a été largement commentée par la presse africaine, notamment en Algérie, un des pays cités par Facebook dans le cadre de cette opération de démantèlement. Abdelaziz Derdouri a cependant tenu à recadrer les choses:
«Le responsable de Facebook a bien précisé que les réseaux sociaux algériens ont été ciblés dans une moindre mesure. Le communiqué ne dit pas que l’Algérie était directement visée par l’armée française. Mais il est vrai que ce type de campagne de désinformation et de manipulation de l’opinion publique préoccupe les autorités algériennes et qu’il est nécessaire de suivre cela de près.»
Les réactions contre l’armée française se sont également déchaînées sur Tweeter.
«Bon début mais peut mieux faire», c’est l’observation qu’aurait pu écrire le spécialiste français Fabrice Epelboin sur la fiche d’évaluation l’unité de militaires français qui a géré ces faux comptes. D’après lui, l’armée française a un retard considérable à rattraper.
«Le fait que l’armée française se fasse griller en 2020 est presque rassurant, cela confirme la capacité des militaires à utiliser des dispositifs modernes. Si jusque-là ils ne se sont jamais fait prendre, je peux en déduire qu’ils n’étaient pas vraiment présents. La situation était presque inquiétante car l’armée française était l’une des seules forces à ne pas être en mesure de pouvoir engager ce genre de chose. Il est logique qu’une puissance comme la France ait de telles capacités d’intervention», précise-t-il.
L’astroturfing, «l’art de faire du fake sur les réseaux sociaux», est pratiqué par les grandes forces militaires, explique Fabrice Epelboin. «L’armée américaine a été la première à se faire attraper en Libye en 2009, ce qui atteste qu’elle préparait déjà le terrain dans ce pays. C’est devenu extrêmement courant et cela consiste à conquérir le cœur et l’esprit à travers les réseaux sociaux», rappelle-t-il.
«Le véritable challenge consiste à développer un véritable savoir-faire, ce n’est pas une question de moyens», conclut le spécialiste.