Les ministres nommés ont deux mois pour faire œuvre de transparence. Comme le veut la loi 11 octobre 2013, les nouveaux entrants au gouvernement lors du remaniement de juillet disposaient de ce délai pour transmettre au collège de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) leurs déclarations de patrimoine et d’intérêts.
Celles-ci viennent donc d’être publiées, le 24 novembre, par l’autorité administrative, après étude approfondie. Or, l’autorité administrative n’est pas la seule à s’y intéresser: la situation fiscale et patrimoniale de deux ministres en particulier intrigue. Alain Griset, ministre délégué aux PME, a été signalé par la HATVP à la justice pour «abus de confiance». Éric Dupont-Moretti, l’ancien ténor du barreau devenu garde des Sceaux, voit quant à lui son train de vie fastueux massivement repris par les médias et sur les réseaux sociaux.
Un voyeurisme qui n’a guère surpris le professeur Anne-Marie Le Pourhiet. Contactée par la rédaction de Sputnik, la juriste et essayiste, qui réfléchit notamment aux questions des libertés et à la «soumission du politique», considère en effet que le déballage public est le grand dommage collatéral des lois sur la transparence:
«Je me rappelle en avoir beaucoup parlé avec Marc Guillaume [ex-Secrétaire général du gouvernement et du Conseil constitutionnel, ndlr], au moment de la décision du Conseil constitutionnel sur les lois pour la transparence. La grande question, c’est “où mettre le curseur”? Jusqu’où faut-il aller dans la transparence? Soit on veut éviter les conflits d’intérêts, et il faut dans ce cas regarder de près, soit on préserve totalement la vie privée.»
La réaction de l’opinion accompagne donc nécessairement la transparence, mais elle est nécessaire pour celle qui se souvient avoir pensé, à l’époque, que «ces mesures allaient très loin». «Il y a un côté justicier chez les citoyens, toutes ces affaires de corruptions récentes, ils en ont marre.»
Pourtant, les goûts dispendieux d’Éric Dupont-Moretti, que lui permettent ses honoraires d’avocat, ne souffrent d’aucune irrégularité. Mais l’exposition d’un tel luxe, peu habituel pour les nouvelles fonctions qu’il occupe, divise l’opinion publique.
Incorruptibilité et intransigeance
Accusé –notamment par une partie de l’opposition– de s’offrir un mode de vie inadéquat avec l’idée de justice qu’il prétend incarner, le garde des Sceaux peut toutefois compter sur quelques avocats pour le défendre.
Ainsi, le présentateur Pascal Praud estime-t-il que ces déballages sont une «atteinte grave à la vie privée» et favorisent une «démagogie patente.»
Une jalousie que refuse tout autant Anne-Marie Le Pourhiet:
«Son salaire et son patrimoine sont à la hauteur du succès qu’il avait en tant qu’avocat. Personne n’ignore qu’il a de l’argent, ces réactions sont le fruit de jalousies mesquines. Que Dupont-Moretti aime les belles montres n’est pas un scoop, il suffit d’être observateur. Et si on part de là, on peut dérouler la liste des responsables politiques qui aiment ce qui brille, la liste est longue.»
Le deuxième ministre souffrant de l’effet de meute observé sur Internet, Alain Griset, délégué aux PME, procède d’un cas différent. En effet, contrairement au garde des Sceaux, celui-ci est mis en cause pour «abus de confiance». Il lui est en outre reproché d’avoir omis de déclarer 130.000 euros. Deux enquêtes judiciaires à son encontre sont en cours. Des «oublis», se justifie Alain Griset.
«C’est l’effet “charognard” des médias, tout le monde n’est pas de mauvaise foi et ne veut pas forcément se servir dans le pot à confiture», plaide Anne-Marie Le Pourhiet en sa faveur.
Une entorse à la présomption d’innocence bien dommageable, synonyme de lynchage: «Souvenez-vous, le même coup avait été fait avec Nicole Belloubet. Les commérages se déchaînent, les gens s’en repaissent, c’est ainsi et nous ne pouvons rien faire contre le pouvoir des réseaux sociaux.»
Vers une religion de la transparence
Officiellement créée en 2013, après le séisme de l’affaire Cahuzac et la nécessité de repenser les mesures de transparence, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) fait dès lors la lumière sur les agissements fiscaux, prises d’intérêts, acquisitions de biens des membres du gouvernement et candidats à l’élection présidentielle.
Pensée pour vérifier l’irréprochabilité des membres de l’exécutif, parlementaires et principaux acteurs de la fonction publique, elle a déjà permis de pointer du doigt certains agissements frauduleux, notamment de la part des époux Balkany ou de l’ancien secrétaire d’État, Thomas Thévenoud.
Du reste, les récentes révélations sur les prises illégales d’intérêts et les abus de confiance restent le plus souvent l’apanage des médias (Le Canard enchaîné et Mediapart, notamment) et la séparation entre la sphère publique et privée reste difficile à conceptualiser. Une complexité qui justifie l’existence d’une autorité administrative, rappelait au Monde Didier Migaud, président de la HATVP, nommé par décret présidentiel. «Les élus se sont approprié les obligations de transparence et, dans l’immense majorité des cas, celles-ci sont respectées. Dans le cas contraire, nous intervenons», prévenait-il, comme pour rappeler au monde politique qu’on le surveille.