La menace planait depuis plusieurs mois. Lundi 23 novembre, Emmanuel Faber s’adressait aux investisseurs du Groupe Danone, fleuron français de l’agroalimentaire. Promettant un retour à une marge de 15% après une année 2019 florissante puis une crise sanitaire occasionnant une perte estimée à 1,5 milliard d’euros pour 2020, le PDG a choisi la réduction d’effectifs.
«Nous pensons qu’il y a d’autres solutions que la suppression de 2.000 emplois», martèle Denis Enfert, délégué général de la CGT Danone.
Interrogés par Sputnik, Denis Enfert et Bruno Largillière, respectivement coordinateurs de la CGT et de la CFDT «Danone produits frais France», déplorent l’emploi de termes fallacieux pour justifier de telles mesures de licenciement et pointent du doigt une politique de réduction des coûts qui aurait pu être menée différemment.
«Avec une marge à deux chiffres», la survie de l’entreprise en jeu?
En cause notamment, la justification du principal intéressé. Emmanuel Faber, qui a toujours affiché sa volonté de proximité et de solidarité avec les employés, évoque en effet un enjeu de taille: la survie de l’entreprise.
Or, pour Denis Enfert, la pérennité de la société n’est absolument pas en cause:
«Pour rappel, avec une marge à deux chiffres (14% actuellement) le groupe est en très bonne santé, la plupart des acteurs de l’agroalimentaire se contentent d’une marge à un seul chiffre. Ce qui est en cause, c’est la progression des bénéfices qui ne satisfait pas les actionnaires. Ce sont eux les vrais coupables, pas Emmanuel Faber, qui est une marionnette.»
Les mêmes actionnaires sont défendus par Emmanuel Faber, sur France Inter, car se ils se trouvent «dans une situation difficile, avec un cours qui a baissé de 30% depuis à peu près un an.» Une prise de parole jugée indécente et qui ne manque pas d’indigner le responsable syndical:
«On a fait deux milliards et demi de bénéfices en 2019, dont 1,370 milliards ont été reversés aux actionnaires en juillet cette année», rétorque Denis Enfert, délégué général de la CGT Danone avant de poursuivre: «Cet argent aurait pu être conservé pour pallier la dette qu’il annonce. Certains syndicats avaient d’ailleurs demandé à ce qu’une partie des dividendes ne soit pas distribuée et reste dans l’entreprise pour relancer l’activité…»
Bruno Largillière, responsable des membres de la CFDT chez Danone, reconnaît lui aussi des propos démesurés, mais nuance les raisons de ces suppressions de postes:
«On a des difficultés, c’est indéniable, sur le secteur des eaux notamment, ou encore avec le plastique. En revanche, est-ce que l’on joue la survie de l’entreprise? Je n’irai pas jusque-là. On peut comprendre qu’il faille faire des économies, mais c’est regrettable qu’elles soient toujours faites sur le dos des salariés, surtout de la part de Danone, qui centrait sa politique sur la RSE [responsabilité sociale des entreprises, ndlr].»
S’il regrette l’absence de concertation avec les salariés, il salue néanmoins une meilleure implication générale de ceux-ci dans les discussions, via des questionnaires fréquemment distribués.
Une conscience sociale de façade?
En outre, celui qui revendique quarante ans d’ancienneté chez Danone évoque une potentielle OPA (offre publique d’achat) dont Emmanuel Faber aurait voulu préserver l’entreprise, rappelant que le groupe a toujours été la cible de potentiels acheteurs.
«Jusqu’à présent, nous pensions que les actionnaires étaient dans la même optique de politique sociale, mais il y a visiblement un changement de cap. Après, le cours de la bourse a énormément chuté et c’est peut-être une façon de protéger l’entreprise d’une éventuelle OPA…»
De son côté, le dirigeant de la multinationale l’affirme à Léa Salamé: il n’a «pas peur de perdre son poste», mais de «mal le faire». Sa dernière décision est pourtant très contestée en interne et des recours sont déjà prévus, assure Denis Enfert, pour qui «l’aspect social n’est qu’une parure.»
«Il faut que les actionnaires courbent aussi l’échine et acceptent que les résultats ne soient pas là pendant un an ou deux.»