Loi de sécurité globale: le recours aux drones de surveillance signe-t-il la fin des libertés individuelles?

La proposition de loi sur la «sécurité globale» est sous le feu des critiques. Outre les restrictions à la diffusion des images des forces de l’ordre, c’est le recours aux drones de surveillance qui inquiète. L’avocat Thierry Vallat passe au crible un article de loi qui pourrait porter atteinte aux droits fondamentaux.
Sputnik

«Souriez, vous êtes épiés».

Le projet de loi «sécurité globale», actuellement examiné à l’Assemblée nationale, continue de cristalliser le mécontentement d’une partie des Français. Ainsi, de nombreux rassemblements contre ce projet se multiplient à travers le pays. Si le volet concernant l’image des policiers et la liberté de la presse a provoqué de vives réactions –un article qui devrait être amendé selon le Premier ministre Jean Castex, d’autres points de cette proposition de loi soulèvent des inquiétudes.

C’est le cas de l’article 22, portant sur l’utilisation des drones. Il prévoit notamment que «dans l’exercice de leurs missions de prévention des atteintes à la sûreté de l’État», ou encore «de constatation ou de poursuite des infractions pénales», les forces de l’ordre «peuvent procéder, au moyen de caméras installées sur des aéronefs, à la captation, l’enregistrement et la transmission d’images.»

Une utilisation non encadrée à ce jour

Loi «sécurité globale»: un «coup de communication» qui peut «museler la presse» et «engendrer le chaos»
Selon les rapporteurs du texte, les députés La République en marche Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue (ex-patron du RAID), cette disposition crée un «régime juridique de captation d’images par des moyens aéroportés, aujourd’hui pratiquée en l’absence de cadre clair.»

Contacté par Sputnik, Me Thierry Vallat, avocat au bureau de Paris, spécialisé dans le domaine du numérique, souligne que si les «partisans de la liberté sont très inquiets par rapport aux développements des drones de surveillance», «la partie juridique était aussi inquiète de savoir qu’il n’y avait absolument aucune réglementation concernant leur utilisation

«C’est donc plutôt bien de le créer. Encore faut-il que cela se fasse dans un cadre juridique, restrictif, conciliant avec les impératifs bien évidemment de proportionnalité liée à la surveillance, mais surtout avec les restrictions des libertés que cela importe», détaille-t-il.

C’est d’ailleurs ce qui avait conduit le Conseil d’État, en mai dernier, à censurer l’utilisation des drones de surveillance, notamment à Paris, en raison de l’absence de cadre juridique pour l’utilisation de ces dispositifs techniques.

Les organismes de défense des droits en alerte

En effet, la plus haute juridiction administrative avait enjoint l’État à cesser «sans délai» l’utilisation des drones lors du déconfinement. Le Conseil d’État arguait que le recours à ceux-ci, dans ces conditions, caractérisait «une atteinte grave et manifestement illégale au droit du respect de la vie privée.»

Des arguments qui refont surface. Claire Hédon, nouveau Défenseur des droits depuis juillet 2020, a fait part de ces craintes concernant l’article 22. Selon elle, il existe «des risques considérables d’atteinte à plusieurs droits fondamentaux»:

«Le recours aux drones comme outil de surveillance ne présente pas les garanties suffisantes pour préserver la vie privée. En effet, les drones permettent une surveillance très étendue et particulièrement intrusive, contribuant à la collecte massive et indistincte de données à caractère personnel.»

Des préoccupations également partagées par des rapporteurs du conseil des droits de l’Homme de l’Onu, dans un avis daté du 12 novembre. Selon cette instance, cela pourrait «avoir un effet dissuasif sur des individus qui se trouvent dans l’espace public et qui souhaiteraient participer à des réunions pacifiques, et par conséquent limiter indûment leur droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique.»

​Comme l’explique Me Vallat, ils pourraient être utilisés pour «quasiment toutes les opérations de surveillance», mais surtout les images obtenues peuvent être transmises «en temps réel aux opérateurs du poste de commandement du service concerné avec une possibilité d’intervention quasiment immédiate.» Seuls garde-fou: les caméras installées sur les aéronefs ne doivent pas visualiser «les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées.» De plus, l’autorité responsable doit tenir un «registre des traitements mis en œuvre précisant la finalité poursuivie, la durée des enregistrements réalisés ainsi que les personnes ayant accès aux images

Drones couplés à la reconnaissance faciale?

Pour l’avocat, plusieurs questions restent en suspens: «les visages vont-ils ou non être floutés? Les prises de vues seront-elles couplées avec les logiciels de reconnaissance faciale par exemple, ce qui n’est normalement impossible?»

​L’article de loi mentionne néanmoins qu’un décret du Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) précisera les modalités d’utilisation. «On espère que la CNIL aura les mêmes réticences qu’elle a déjà eues par rapport à ces utilisations, puisque la reconnaissance faciale est particulièrement dangereuse si elle était couplée avec d’autres fichiers qui pourraient permettre la surveillance de tout à chacun», estime l’avocat.

«En ce moment, on parle d’ailleurs beaucoup du floutage des policiers, mais on voit en retour que ce problème va également se poser par rapport à la vie privée des personnes. Cela va être extrêmement difficile pour quelqu’un de savoir lorsqu’il sera filmé dans un périmètre couvert par un drone», déplore Me Vallat.

Pour tenter de répondre à ces critiques, Pierre-Alain Raphan, député LREM a déposé un amendement afin qu’«un traitement d’image [soit] effectué en amont de sa visualisation par le personnel habilité.» Une précaution supposée garantir «la protection de la vie privée des citoyens.» Pourtant, comme le révèle Mediapart, la tâche s’avère ardue. Et pour cause, depuis juillet dernier la préfecture de police de Paris utilise pour anonymiser les images captées, un logiciel de floutage appelé YOLOV4 qui se «montrait efficace, lors de son installation, à seulement 70%.»

Autant d’éléments qui font dire à Me Thierry Vallat que «la rédaction actuelle de l’article 22 et l’utilisation qui est faite aujourd’hui des drones en France, en toute impunité et en toute illégalité», ne semble pas respecter le nécessaire équilibre entre les intérêts des forces de l’ordre et ceux des citoyens.

Discuter