Hold-Up: «la critique au bazooka à laquelle on assiste est tout à fait hors de propos»

Les critiques pleuvent sur le film Hold-Up, largement décrié et taxé de «complotiste» tant par les grands médias que par la majorité. Pour Alain de Benoist, philosophe et historien des idées, ce rejet du débat reflète l’intolérance d’une classe dominante pour le pluralisme et la contradiction.
Sputnik

Depuis sa parution le 11 novembre, le film «Hold-up, retour sur un chaos», essuie un déluge de critiques de la part d’une grande partie de la presse. Cette production audiovisuelle représenterait «l’apogée du complotisme devenu mainstream» pour reprendre Le Monde. Quasi unanimement, les grands sites d’informations démultiplient depuis une semaine les articles de «vérification» et de «décryptage» des «contre-vérités» véhiculées par le documentaire et de la «stratégie de crédibilisation» de ces dernières.

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Également très critique et en apparence unanime dans la dénonciation d’un film «complotiste»: la majorité présidentielle. Certains de ses membres vont même jusqu’à invectiver sur les plateaux les journalistes qui selon eux ne condamneraient pas assez le documentaire. En témoigne l’intervention de l’eurodéputée et porte-parole de LREM Ilana Cicurel sur le plateau de CNews.

«Ce film est une bombe atomique complotiste et personne ne peut en douter. Donc on ne peut pas le présenter autrement!», déclarait-elle au lendemain de la parution du film. Se présentant comme une «spécialiste en liberté d’expression», elle se disait «extrêmement choquée» qu’un journaliste de la chaîne d’information n’ait pas été plus critique à l’encontre de ce «pseudo-documentaire […] d’une extrême gravité» au moment de recevoir son réalisateur. À l’opposé du spectre politique, c’est Marine Le Pen qui se dit «frappée par l’hystérie» entourant la sortie du film. Une chose est sûre, en parcourant réseaux sociaux et réactions aux articles, ce tir de barrage médiatique semble valider, aux yeux de nombreux internautes, le contenu de ce documentaire autant décrié par les grands médias et la majorité présidentielle.

«C’est le pluralisme qui paraît scandaleux»

Que révèlent ces sur-réactions qui s’opposent? Nous avons interrogé le philosophe et historien des idées Alain de Benoist, théoricien de la «Nouvelle droite» et auteur de plus d’une centaine d’ouvrages. Il a récemment publié La chape de plomb aux éditions La nouvelle librairie, qui traite de la censure et du politiquement correct.

Sputnik France: la posture de la majorité et des grands médias vis-à-vis de Hold-Up n’est-elle pas particulièrement contre-productive, dans la mesure où ce flot de critiques semble, aux yeux de tous ceux qui critiquaient la couverture médiatique ou simplement la gestion de la crise, valider l’argumentaire du documentaire?

Alain de Benoist «Tout d’abord, je ferai une remarque de précaution. Il y a un point commun entre les débats autour de la pandémie et les débats sur le réchauffement climatique: ce sont dans les deux cas des sujets hautement spécialisés, ce qui n’empêche pas tout le monde de s’empoigner, comme si tout un chacun pouvait s’improviser climatologue ou virologue. C’est quelque chose de désagréable.

Pour en venir au film Hold-up, je n’en avais pas entendu parler, je n’ai appris son existence qu’en lisant les critiques résolues qui en ont été faites dans les médias. La presse est unanime? Je serais tenté de rectifier, non la presse n’est pas unanime. Ceux qui sont unanimes, ce sont les médias de l’idéologie dominante, c’est-à-dire l’ensemble des bulletins paroissiaux qui essaient de diriger l’opinion des gens et de leur dire ce qu’ils doivent penser.»

Sputnik France: Que pensez-vous de ce documentaire et des réactions qu’il a suscitées?

Alain de Benoist: «J’ai finalement pu voir ce film et mon opinion est la suivante: il y a incontestablement des choses qui sont un peu douteuses, des passages qui peuvent être contestés, des passages un peu faibles, mais dans ce film –qui est assez long–, il y a aussi une pléiade de témoignages, d’appréciations, d’expertises, qui sont très proches d’emporter la conviction. Par conséquent, la critique au bazooka à laquelle on assiste est tout à fait hors de propos, bien qu’elle soit éminemment révélatrice.

«Aujourd’hui, il n’y a pas de débat, il a des dénonciations»

Les gens ne sont pas spécialistes, c’est une évidence, en revanche ce dont ils peuvent mesurer la réalité, c’est que cette crise sanitaire a depuis le début dans notre pays été gérée en dépit du bon sens, avec des annonces qui se sont succédé de façon frénétique, rigoureusement contradictoires […]. Et on voit bien au vu des réactions des uns et des autres que les gens n’y comprennent plus rien et qu’ils n’en peuvent plus, tant ils mesurent dans leur vie quotidienne les dégâts de cette gestion qui, finalement, va faire par le détour économique et social plus de victimes que le virus.

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J’entends dire également que si le film est attaqué, c’est bien la preuve qu’il comporte des éléments de vérité. C’est fort possible, mais j’irais un peu plus loin. Il faut rappeler que dans la France d’aujourd’hui, il y a une idéologie dominante, qui comme toujours d’ailleurs, est l’idéologie de la classe dominante. Cette idéologie dominante, au fil des années et des dernières décennies, a resserré son emprise de telle façon qu’elle ne supporte plus la contradiction. Elle la supporte si peu qu’elle s’étonne qu’elle puisse même exister et elle trouve cette existence scandaleuse. On pourrait faire un parallèle avec bien d’autres choses, comme les interventions d’Éric Zemmour à la télévision, avec lesquelles on peut ne pas être toujours en accord, et qui sont également perçues comme quelque chose de scandaleux.

Accusation de complotisme, «une solution pratique pour les esprits paresseux»

Pour être bien clair, c’est le pluralisme qui paraît scandaleux. Il y a une telle dominante que personne n’a le droit de la contester sans être immédiatement traité de complotiste, d’avoir un esprit pervers, de céder à la démagogie… Cela donne beaucoup à réfléchir sur l’état de la liberté d’expression et de l’opinion dans le monde où nous vivons.»

Sputnik France: L’accusation de complotisme est-elle le dernier avatar à la mode de «La chape de plomb», pour reprendre le titre de votre tout dernier livre, de la censure généralisée que vous y dénoncez?

Alain de Benoist:«Personnellement, j’ai horreur du complotisme. Mais le complotisme, on le retrouve partout, y compris chez ceux qui font profession de dénoncer le complotisme. De même que l’accusation de colporter des fake news, expression à la mode depuis quelques années. Elle est colportée avec d’autant de virulence qu’elle est le fait de médias dominants qui, eux-mêmes, n’ont jamais dédaigné de colporter des fake news […] Ce n’est pas une réfutation.

Si on n’est pas d’accord avec un discours, avec un argument, il faut le réfuter et cela demande un certain travail et parfois une certaine culture. La réfutation qui consiste uniquement à diffamer, à injurier et à traiter de complotiste, outre qu’elle ne marche plus parce qu’usée jusqu’à la corde, c’est surtout une solution pratique pour les esprits paresseux.»

Sputnik France: Certains médias amalgament Hold-up avec le mouvement des Gilets jaunes. D’une certaine manière n’ont-ils pas raison, dans la mesure où les réactions à ce film, particulièrement polarisées, semblent illustrer les fractures de la société française: notamment celle d’un peuple qui doute, voire se défie de ses élites?

Alain de Benoist: «En réalité, les extrêmes se nourrissent mutuellement. Lorsqu’on affirme de façon exagérée ou délirante quelque chose, la tentation peut être grande de produire une accusation tout aussi extrême, mais inverse. Ce n’est pas comme cela que l’on fait de véritables débats. Le problème est que l’on est arrivé à une telle hystérisation des rapports sociaux que le moindre des sujets devient immédiatement clivant et révèle des fractures qui ne font que s’amplifier.

«Hystérisation des rapports sociaux»

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Dans un tout autre domaine, regardez ce qui se passe aux États-Unis, avec l’élection Biden –Trump. L’Amérique se retrouve aujourd’hui divisée comme elle ne l’a sans doute pas été depuis la guerre de Sécession, alors que sur le plan politique c’est un pays qui passait pour relativement consensuel. Aujourd’hui, les partisans de Trump et de Biden ne se regardent pas comme des adversaires, mais comme des ennemis.

C’est quelque chose qui est en train de se passer dans une France qui est en train d’éclater, de se fracturer, en factions, en groupes, en lobbys, en communautés, en familles d’opinion, qui campent sur leurs positions avec résolution et, disons par métaphore, avec le fusil à la main.»

Sputnik France: À défaut d’apporter les bonnes réponses, Hold-up n’est-il pas un documentaire qui a au moins le mérite de poser de bonnes questions? N’illustre-t-il pas un défaut d’information sur la crise? Son succès n’est-il pas le miroir de l’échec des médias?

Alain de Benoist: «Ce n’est pas à moi de distribuer, en matière d’expertise, les bons et les mauvais points. C’est la raison pour laquelle je refuse de donner une réponse globale à la question de savoir si ce film est crédible en tout point ou en aucun point. Mon sentiment est qu’il est crédible sur certains points et qu’il l’est moins sur d’autres points. Tout cela doit être établi en ayant à l’esprit le sens des nuances dans ce qui est un débat.

Or, aujourd’hui, il n’y a pas de débat, il a des dénonciations. Il y a le camp du Bien qui excommunie, qui prononce des anathèmes et qui déclare que tout ce qui le contredit est forcément représentant du Mal. Quand on est dans ce degré de manichéisme, c’est que plus rien ne fonctionne, que la société est en état de dysfonctionnement, d’éclatement et que les antagonismes que nous voyons apparaître sur divers plans aujourd’hui sont appelés à malheureusement s’aggraver dans les années qui viennent.»

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