Neuf mois déjà que les sonomètres des discothèques affichent zéro. Depuis le premier confinement mi-mars, la quasi-totalité des boîtes de nuit n’a pas rouvert ses portes. Une décision qui s’appuie notamment sur un avis du Haut conseil de la santé publique (HSCP), qui détaillait en juillet dernier les risques inhérents à l’activité des établissements de nuit. Parmi les éléments en défaveur d’une réouverture, l’HSCP pointait les «cas de clusters ayant pour origine des discothèques en Corée du Sud, Espagne ou encore en Suisse», les «difficultés à faire respecter une distance de plus d’un mètre en dansant», ou encore, la «désinhibition des comportements par consommation de boissons alcoolisées.»
Si dans la lutte contre le coronavirus, ces mesures sont compréhensibles, pour les gérants de ces lieux, elles ont des effets délétères.
Bientôt des dépôts de bilan en cascade?
Interrogé par Sputnik, Aurélien Dubois, président de la Chambre syndicale des lieux musicaux festifs et nocturnes (CSLMF), rappelle que depuis le début de la crise, «en croisant les chiffres des différents syndicats, 30% des établissements ont déjà déposé le bilan.»
Pourtant, «les aides proposées ne couvrent pas toutes les charges fixes de la grande majorité des établissements. C’est un peu reculer l’échéance de notre mise à mort», déplore Aurélien Dubois.
D’autant plus que «si on attend le vaccin pour rouvrir ces lieux, c’est-à-dire début de l’été comme le disait le Président de la République lors de son allocution fin octobre, la moitié des établissements auront déposé le bilan. On ne peut pas survivre dans ces conditions», prévient Aurélien Dubois.
«L’État doit prendre sa responsabilité par rapport aux fermetures administratives pour lutter contre un phénomène viral dont nous ne sommes pas coupables, et nous aider survivre durant cette crise», plaide-t-il.
Comme l’explique Aurélien Dubois, le secteur ne remet pas en cause la problématique du virus: «On reste fermés pour la sécurité des gens, on dit simplement que comme on a été les premiers à fermer et qu’on sera les derniers à rouvrir, c’est bien nous qu’il faut aider le plus possible». «C’est un environnement qui va s’éteindre», affirme-t-il.
Le Parlement préfère aider les poney club
Au-delà de l’aspect économique, le président du CSLMF fustige «l’incompréhension de l’État par rapport à notre écosystème». «Aujourd’hui, les clubs ont une programmation artistique, il y a toute une chaîne de producteurs, d’éditeurs et d’artistes qui prennent leur cachet, leur rémunération, principale dans les établissements de nuit.»
Symbole de ce décalage pour Aurélien Dubois: le rejet par le Sénat d’un amendement de la loi de Finances qui visait à mieux répartir le budget lié à la culture. À l’initiative de la CSLMF et de Technopol, le sénateur EELV du Rhône, Thomas Dossus, a déposé cet amendement afin de débloquer 20 millions d’euros pour soutenir les musiques actuelles et électroniques, qualifiées par le sénateur d’EELV de «vitrines de la création musicale française à l’étranger». Une activité qui «pèse plus de 400 millions d’euros.»
Selon lui, c’était un moyen aussi de «briser le silence concernant ce pan de la culture française qui se sent totalement ignoré, et qui craint de passer du secteur du spectacle vivant à celui du “spectacle mort.”»
«Malheureusement, les sénateurs ont préféré attribuer 35 millions d’aide sur la loi rectificative aux clubs hippiques et aux poney club. En revanche, concernant nos demandes, on nous a dit que nos ce n’était pas d’actualité», ironise Aurélien Dubois.
Une occasion manquée, donc. Le président de la Chambre syndicale des lieux musicaux festifs et nocturnes confie «avoir un peu l’impression d’être face à des bureaucrates d’une certaine génération qui n’ont pas compris le besoin que nous représentons dans la société.»
«On crée de la valeur, on est vecteur de culture, de tourisme. Il faut arrêter de nous mettre en second plan parce que l’on ne sait pas se renseigner sur notre activité. C’est leur responsabilité de savoir ce qu’il se passe dans la société. C’est triste de devoir se justifier sur l’utilité de nos établissements quand ça ne va pas», tonne Aurélien Dubois.
«Il y a des fêtes privées qui s’organisent sur billetterie même pendant le confinement. Les gens n’arrêteront pas de faire la fête quoi qu’il arrive», observe le président du CSLMF.
Un constat qui pousse donc les acteurs du secteur à réfléchir à leur encadrement et plus globalement, aux modalités de réouverture.
Rouvrir, mais dans quelles conditions?
À Paris, à défaut d’aller s’enfermer dans les discothèques, la mairie souhaite mettre en place des fêtes en plein air dès l’arrivée des beaux jours, sous condition que le contexte sanitaire le permette. En outre, des gérants d’établissements de nuit se sont réunis en visioconférence avec Alain Griset pour tenter de trouver des solutions, relatent Les Échos.
Celles-ci seront-elles suffisantes pour revenir au niveau d’activité d’avant épidémie? Rien n’est moins sûr. C’est d’ailleurs la crainte des gérants d’établissements de nuit. «On sait que notre chiffre d’affaires va être en baisse par rapport aux années précédentes. On anticipe déjà sur comment va-t-on faire pour tenir pendant ces mois de redémarrage», confie Aurélien.
«Avec cette dictature de la communication anxiogène, une partie de la clientèle est atteinte par rapport à tout cela, à force de voir tous les jours le décompte des gens qui meurent, que l’on est des lieux de propagation, donc qu’on est fermés», poursuit-il.
«Vous vous doutez bien que ce n’est pas du jour au lendemain que les gens vont courir comme des dingues, à transpirer les uns à côté des autres devant un DJ», conclut Aurélien Dubois.