Les griefs entre l’administration Trump et le gouvernement français sont nombreux sur les questions internationales, en particulier concernant la présence militaire américaine en Irak et en Afghanistan.
À l’occasion de la rencontre entre le secrétaire d’État américain Mike Pompeo et le Président Macron, le Quai d’Orsay veut tirer les choses au clair. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a fait savoir au micro de BFMTV le 13 novembre qu’il comptait s’opposer à Mike Pompeo sur ce dossier, expliquant «qu’il ne faudrait pas» que les États-Unis continuent de rapatrier leurs soldats présents sur les théâtres afghan et irakien.
Résurgence de Daech*
Contacté par Sputnik France, Karim Pakzad, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Irak et de l’Afghanistan, estime que ce dossier est des plus délicats pour Paris:
«La France, et même l’Europe, n’a pas les moyens de contrecarrer la résurgence de Daech* en Afghanistan et en Irak.»
«Si les États-Unis quittent l’Afghanistan de la manière dont ils s’y sont engagés, c’est-à-dire dans le cadre de l’accord de paix avec l’Afghanistan et alors que rien n’est réglé au niveau sécuritaire dans le pays entre le gouvernement de Kaboul et les taliban, il pourrait y avoir très vite une nouvelle guerre civile. Et comme l’a montré l’histoire, il est très probable que des islamistes radicaux comme ceux de Daech* en tirent profit. Le schéma est le même pour l’Irak, voire la Syrie», explique le chercheur.
Les États sont en déliquescence tant en Irak qu’en Afghanistan, avec des gouvernements centraux incapables d’assurer la sécurité de leur population, ni de leur offrir de véritables perspectives économiques. Des attentats revendiqués par Daech* frappent régulièrement les deux pays. En Afghanistan, le dernier attentat en date du mouvement djihadiste remonte au 24 octobre, avec un attentat suicide près d’un établissement proposant des formations pour étudiants à Kaboul, tuant 24 personnes.
La France et l’Europe «en première ligne» face au djihadisme
«La France et l’Europe sont directement confrontées aux conséquences des guerres qui ont lieu dans cette région. Elles sont en première ligne. C’est de là que provient le terrorisme islamique qui tue en Europe et c’est aussi de là que viennent les réfugiés qui créent d’autres sortes de soucis.
La France demande aux Américains de prendre leur responsabilité de grande puissance et de ne pas quitter l’Afghanistan et l’Irak, et donc de ne pas laisser la France et ses alliés seuls face à ce danger.»
D’autant qu’il ne reste plus beaucoup de temps à la Paris pour convaincre Washington. En effet, si Jean-Yves Le Drian entend se saisir de cette visite pour soulever le problème auprès des autorités américaines, c’est bien parce qu’outre-Atlantique, les choses s’accélèrent. Donald Trump pourrait quitter la Maison-Blanche le 20 janvier 2021 et espère, avant ce probable départ, tenir une de ses plus importantes promesses: en finir avec les «guerres interminables» d’Irak et d’Afghanistan.
Coup d’accélérateur de Donald Trump
Pour ce faire, le Président américain a fait bouger les lignes à Washington la semaine dernière, en particulier au sein du Département de Défense. Son Administration a démis de leurs fonctions nombre de hauts responsables du Pentagone, en particulier ceux issus du civil, afin de faciliter le rapatriement des «boys» présents en Irak et en Afghanistan. En tête de liste des individus remerciés se trouvait Mark Esper, Secrétaire d’État à la Défense, qui, selon des sources en interne citées par CNN, s’opposait à un «retrait prématuré», notamment des troupes stationnées en Afghanistan. L’intérim sera assuré par Christophe Miller, béret vert et ancien directeur du Centre national de lutte contre le terrorisme.
Le cas de Mark Esper n’est d’ailleurs pas isolé, d’après plusieurs grands médias américains comme CNN, le Washington post ou encore le New York Times. D’après eux, le Président Trump aurait remplacé les responsables démis de leurs fonctions par des «loyalistes» afin de lui permettre de mener à bien son projet de rapatriement de toutes les troupes américaines en poste en Afghanistan, et peut-être en Irak. D’après le quotidien new-yorkais, les officiels nommés sont ceux qui poussent à un retrait afghan rapide et pour une ligne plus dure face à l’Iran. En atteste, selon ces mêmes journaux, la nomination du général Anthony Tata, soutien de longue date de Donald Trump.
Malgré ces indicateurs clairs que la machine est en marche, Paris tente tout de même d’user de son influence pour contrecarrer ce projet de rapatriement des troupes, ou en tout cas en repousser la date butoir. Car s’il est probable que le Président Joe Biden soit plus compréhensif à l’égard de son partenaire européen, il sera probablement compliqué pour lui de convaincre l’opinion publique américaine de renvoyer des soldats sur ces théâtres d’opérations pour mener des guerres impopulaires. Le quai d’Orsay joue contre la montre: il lui reste 66 jours pour convaincre Washington que le rapatriement immédiat n’est pas dans son intérêt.