Au Sénégal, le réseau «Marie Stopes International» est très actif dans les services liés à la santé de la reproduction et de la planification familiale. Il gère plusieurs cliniques dont une, célèbre, située dans la commune de la Patte d’Oie, à quelques encablures du centre-ville de Dakar. Mais un an après l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, les financements que l’USAID (agence qui gère l’aide publique des États-Unis à travers le monde) accordait aux ONG pratiquant l’avortement ont été supprimés.
«Marie Stopes» ou «Planned parenthood», une autre ONG opérant dans le même secteur, ont été victimes de ces restrictions budgétaires derrière lesquelles certains ont entrevu un signal du futur (?) ex-Président des États-Unis à son électorat catholico-évangéliste. C’est à ce type de contrainte liée à des certitudes idéologiques que le monde a dû faire face avec Donald Trump. Que peut espérer l’Afrique de son successeur projeté Joe Biden?
L’Amérique a ses propres urgences
Abdou Khadre Lô, docteur en sciences politiques, directeur Afrique du cabinet Access Partnership interrogé par Sputnik, n’est pas très optimiste.
«Les Africains ne doivent pas attendre grand-chose de Joe Biden, et surtout pas qu’il soit une sorte de Président par procuration pour nous. Si Barack Obama, et tout ce qui le liait au continent, n’a pas changé notre quotidien, Joe Biden sera encore moins bien placé pour ce faire. D’abord parce qu’avec le Covid-19, la récession économique qui frappe les États-Unis, les tensions commerciales avec la Chine, etc., il a d’autres urgences à gérer. Ensuite parce que rien ne l’y oblige!»
Pour lui, «il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit avant tout du Président des États-Unis, par conséquent, ce sera toujours ‘America first’, sous une forme moins brutale certes».
«Comme le reste du monde, l’Afrique aura à gagner de la présidence Biden si ses intérêts coïncident avec ceux des États-Unis. Et plus concrètement, les États africains ne pourront discuter que des sujets que l’Amérique aura mis sur la table: Africom, MCA, AGOA, etc. Autrement dit, la sécurité et l’économie.»
«Armée et économie restent les mamelles de l’Amérique, surtout dans le contexte actuel marqué par l’incertitude liée au coronavirus, les appétits de la Chine, la défiance de la Russie, les soucis des GAFAM [Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, ndlr] en Europe et les extrémismes exacerbés», poursuit Abdou Khadre Lô.
C’est sous la présidence de Bill Clinton que le Congrès avait voté en 2000 la loi sur la croissance et les opportunités de développement en Afrique (AGOA). Celle-ci permet aux pays d’Afrique subsaharienne d’exporter des produits homologués sur le marché américain sans payer des droits de douane. Cependant, même si l’AGOA a permis à des États comme le Ghana ou le Kenya de doper leurs exportations vers les États-Unis, rares sont ceux qui parviennent à en tirer profit en raison de la sévérité des conditions d’éligibilité.
En 2004, l’Administration Bush avait lancé le Millenium Challenge Account (MCA) comme instrument de coopération bilatérale en soutien aux pays crédités de bonnes performances dans la gouvernance publique, dans la mise en place d’un environnement favorable aux investissements privés et dans la réalisation de progrès dans le domaine social.
«Pour le moment, dans son Agenda pour la diaspora africaine, Biden pose les jalons d’une coopération avec l’Afrique axée sur la diaspora installée en Amérique. Il pose également une forme de protocole de La Baule pour indiquer que la bonne gouvernance et la démocratie seront déterminantes dans les nouvelles relations qu’il veut établir avec le continent», suggère Abdou Khadre Lô.
Un protocole de La Baule version américaine?
Le Sommet de La Baule de juin 1990 est considéré comme un tournant dans les relations Afrique-France. François Mitterrand, alors Président de la République, y avait annoncé pour la première fois l’objectif de lier l’aide économique française au respect des règles démocratiques dans les États du pré carré africain de l’Hexagone.
Un coup de semonce qui avait entraîné dans certains pays, comme au Bénin, l’organisation de conférences nationales destinées à valider les principes de gouvernance démocratique.
«Au fond, rien de ceci n’est nouveau: après la parenthèse de l’anormalité que Trump aura incarnée jusqu’à la caricature, les États-Unis reviennent à l’orthodoxie, c’est-à-dire à l’establishment de Washington où tout se décide», indique le politologue.
S’il y a un domaine où l’Administration Biden devrait conserver les acquis de la politique de Donald Trump, c’est dans la lutte contre le terrorisme. Aujourd’hui, près d’un millier de soldats américains du Commandement pour l’Afrique (Africom) sont actifs au Niger.
Ils collaborent avec plusieurs milliers de soldats français de la force Barkhane disséminés entre le Niger et le Mali et à qui ils apportent un soutien en logistique et renseignement. En matière de formation, l’Africom a mis en place plusieurs programmes d’entraînement militaire au profit des pays ouest-africains et du golfe de Guinée.
«Il est vrai que Donald Trump s’était totalement désintéressé de l’Afrique et des pays pauvres en général, qu’il méprisait même. En quatre ans à la Maison-Blanche, il n’a pas mis les pieds sur ce continent, contrairement à ses trois prédécesseurs (Clinton, Bush et Obama) qui ont tous visité le Sénégal», rappelle Abdou Khadre Lô.