Printemps 2004, début de soirée dans le quartier populaire de Bayview à San Francisco, en Californie. Isaac Espinoza, officier du département de police de San Francisco effectue avec son collègue l’une de leurs dernières rondes avant la fin de leur service. Ceux-ci remarquent alors un homme au comportement suspicieux, et s’en approchent en véhicule. Lorsqu’ils l’appellent pour lui signaler leur présence, ce dernier se retourne et tire sur les officiers avec un fusil d’assaut de type AK-47. L’officier Espinoza, touché par plusieurs balles, meurt de ses blessures quelques minutes plus tard. Son collègue, touché une fois à une jambe, survivra.
La candidate à la vice-présidence était alors fraîchement élue procureur du district de San Francisco. Elle vit tomber sur son bureau un dossier particulièrement épineux qui allait directement la mettre face à ses convictions. Kamala Harris avait fait campagne contre la peine de mort, arguant que l'emprisonnement à vie sans liberté conditionnelle est une sanction plus efficace et plus rentable que la peine capitale. La jeune procureur décida donc de ne pas requérir celle-ci et David Hill fut condamné à deux fois à la perpétuité.
Remise en cause de la peine de mort
Cette décision lui a valu les foudres de la classe politique de l’époque, et ce même au niveau national. Les syndicats de police furent outrés de sa décision. Même la sénatrice démocrate Dianne Feinstein indiqua qu’elle ne lui aurait pas apporté son soutien durant sa campagne pour devenir procureur si elle avait su que Kamala Harris prendrait une telle décision dans un dossier pareil.
Dans les années 1990 et au début des années 2000, la fermeté face à la criminalité était très en vogue outre-Atlantique, à New-York bien sûr, mais aussi en Californie. Cet épisode coûta politiquement cher à Kamala Harris. À cette époque, il était très difficile de concilier le fait d’être «progressiste», une identité politique qu’elle revendiquait, et le poste qu’elle occupait.
Critiquée par une partie de la communauté noire
Par la suite, la jeune procureur a pris des positions bien plus fermes, voire conservatrices, lors de ses mandats au sein du département de Justice. Fille d’une immigrée indienne et d’un immigré jamaïcain, Kamala Harris a été critiquée pendant 15 ans par la communauté noire et le camp progressiste pour sa politique de fermeté en tant que procureur de San Francisco (de 2004 à 2011) d’abord, puis de Californie (de 2011 à 2017) ensuite. Et ce, jusqu’à ce jour. Comme le titrait le Los Angeles Times le 24 octobre 2019: «Le passé de la Californie en matière de lutte contre la criminalité hante Kamala Harris».
Nombreux sont ceux qui lui en veulent encore dans la communauté noire pour des décisions qu’elle a prises, ou pas prises, et qui ont coûté des années d’emprisonnement à un grand nombre de jeunes hommes et femmes noirs, ou non, en Californie. Et ceux-ci, jusqu’à ce jour, le lui rendent bien. En atteste le tweet ci-dessous, qui ironise sur la loi défendue par Kamala Harris visant à mettre derrière les barreaux les parents dont les enfants sont scolarisés, mais manquent leurs cours et commettent régulièrement des crimes.
traduction: Des images exclusives de Kamala Harris saluant les mères noires célibataires qu'elle a mises dans le bus en direction de la prison parce que leurs enfants avaient trop souvent manqué l'école.
En tant que procureur, Kamala Harris a fait campagne pour des programmes d’aide au retour à l’emploi au lieu d’envoyer les condamnés en prison. Elle s'est également battue pour que les gens restent en prison même après avoir été reconnus innocents. Elle a refusé de requérir à la peine de mort contre un homme qui a tué un policier, mais elle a défendu le système californien de peine de mort devant les tribunaux. Un parcours de procureur équivoque donc, loin et proche à la fois de l’aile progressiste de son parti.
Une fois élue au Sénat, en 2017, ses positions se rapprochent toutefois de celles du camp progressiste au sein du parti Démocrate, ce qui fait d’elle une candidate de choix pour être la colistière de Joe Biden. Mais ce revirement politique semble pourtant contradictoire avec son action au sein du département de la Justice où elle n’aurait donc, selon ses détracteurs, peu fait bouger les lignes en faveur des minorités.
Une machine à lever des fonds
Sur la colline du Capitole, comme représentante puis sénatrice de la Californie, Kamala Harris s’est surtout fait remarquer par l’autorité par ses interventions lors des auditions des personnes nommées par Donald Trump, comme par exemple lors de la nomination de Jeff Sessions au poste de procureur général des États-Unis, ou celle de Rod Rosenstein pour le poste de procureur général adjoint, pour ne citer qu’eux.
En 2019, elle se lance dans la primaire démocrate. Elle est alors considérée par nombre d’observateurs comme l’un des favoris. Elle se retirera pourtant assez rapidement de la course, citant un «manque de fonds». Mais le retard qu’elle accusait derrière le duo de tête Biden et Sanders semble la raison la plus probable de son retrait.
En effet, Kamala Harris est extrêmement efficace pour lever des fonds. De Hollywood à Wall Street, la potentielle vice-Présidente ne manque pas d’entregent. Dans les 48 heures qui ont suivi l’annonce de Joe Biden qu’il choisissait Kamala Harris comme colistière au mois d’août, la campagne Biden a levé 48 millions de dollars supplémentaires. À titre de comparaison, la campagne Biden avait levé 140 millions de dollars sur l’ensemble du mois de juillet 2020. Reste à savoir si, dans le cas où Joe Biden et Kamala Harris gagnent définitivement la course à la Maison-Blanche, ces donations ne seront pas liées à des intérêts qui dicteront leur politique.